Alors qu’un nouveau délit d’entrave à l’IVG devrait être voté très prochainement, Caroline Roux, coordinatrice des services d’écoute d’Alliance VITA, dénonce un grave déni de réalité et une atteinte à la liberté d’expression.
« Madame Rossignol, ministre des Familles, de l’enfance et du droit des femmes a déclaré la guerre aux sites Internet qui, selon elle, donneraient des informations « faussées » sur les conséquences de l’avortement. Elle entend élargir le délit d’entrave aux informations d’associations qui ne se résignent pas à le banaliser et qui prennent en compte les dilemmes des femmes.
Depuis des années, l’information n’a cessé de se dégrader. Trop de femmes qui hésitent à poursuivre une grossesse inattendue et souhaiteraient pourvoir éviter une IVG, sont conduites vers l’avortement par fatalité, faute d’une information équilibrée et d’un accompagnement approprié. Selon l’Ined, 72% des femmes qui avortent suivaient une méthode de contraception quand elles ont découvert leur grossesse. Face à l’inattendu, les questions se bousculent dans la panique, et souvent la solitude. Bien des femmes, jeunes ou moins jeunes, se sentent jugées et rejetées quand elles révèlent être enceintes sans l’avoir planifié. Certaines confient penser à l’IVG à contrecœur sous la pression de leur compagnon, de l’entourage, ou encore par peur pour leur emploi.
Même si l’avortement suscite des oppositions de principe qui demeurent irréductibles, notre société peut-elle laisser croire que les femmes pourraient le ressentir comme un acte anodin ?
Sur le site du gouvernement dédié à l’IVG, on trouve des informations à sens unique. Aucun renseignement n’est proposé sur les aides et droits des femmes enceintes qui pourraient contribuer, pour celles qui le souhaitent, à poursuivre leur grossesse. Dans une vidéo, un gynécologue affirme qu’il n’y a pas « de séquelle à long terme psychologique de l’avortement ». Pourtant, la Haute Autorité de Santé a souligné que l’on manquait justement d’éclairage objectif sur les conséquences psychologiques post-IVG. Si certaines femmes disent ne pas en ressentir, d’autres qui en souffrent, et parfois de longues années après, se voient ainsi officiellement dénier toute expression de ce qu’elles ressentent.
A force de sous-estimer l’expression des femmes, on arrive à les maltraiter, comme le révèle une récente étude conduite par des chercheurs de l’INSERM. Cette étude souligne le manque d’information sur les conséquences de l’IVG médicamenteuse : 27% des femmes ayant réalisé une IVG médicamenteuse ont perçu des « douleurs très intenses » notées 8 ou plus sur une échelle de 10. Ses auteurs recommandent des protocoles plus puissants de prise en charge de la douleur.
L’IVG médicamenteuse, majoritairement utilisée en France, est pratiquée avant 7 semaines de grossesse à l’hôpital et avant 5 semaines à domicile. Elle contraint les femmes à une décision rapide, les coupant d’un temps de réflexion, spécialement quand elles subissent des pressions de leur environnement ou des violences conjugales. Beaucoup de femmes ont des débats intérieurs, bien conscientes que la vie d’un être humain et aussi leur propre destin sont en jeu. Or, les violences psychiques qui conduisent à l’avortement sont gravement ignorées.
Madame Rossignol entend-elle en réalité imposer une entrave à l’expression de la souffrance et des pressions subies ? Les études publiées sur les violences faites aux femmes dans le cadre conjugal devraient pourtant alerter. Pour 40% des 201 000 femmes concernées chaque année, les violences du conjoint débutent à la première grossesse. Une étude sur le lien entre IVG et violences révèle que très peu de médecins posent systématiquement la question des violences aux femmes réalisant une IVG. « On ne m’a rien demandé« , confient certaines femmes à notre service d’écoute, s’étant senties totalement ignorées dans leur détresse, qu’elle soit due à des violences ou à des pressions affectives, sociales ou économiques.
La récente suppression, dans la loi, du critère de détresse et du délai de réflexion d’une semaine pour avoir recours à l’avortement, ne peut qu’aggraver la situation. La société cautionne ainsi l’injonction légale de décider sans état d’âme. Le sondage de l’IFOP intitulé Les Français et l’IVG, publié en septembre 2016, prend le gouvernement à contrepied : 72% pensent que la société devrait faire plus pour éviter aux femmes l’IVG.
L’acharnement à banaliser l’avortement, à le considérer comme un acte sans portée intime, sociale et éthique, constitue un grave déni de la réalité. Pouvons-nous nous résigner à ce que 220 000 Françaises avortent chaque année, soit le double qu’en Allemagne ? Le gouvernement devrait profondément se remettre en question sur sa propre politique d’information et de prévention. En créant ce nouveau délit, non seulement il entrave gravement la liberté d’expression des associations et le droit des femmes à s’informer librement, mais il risque aussi de voir cette mesure se retourner contre lui. »
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Tribune de Caroline Roux, déléguée générale adjointe d’Alliance VITA et responsable des services d’écoute – article paru le 30 novembre 2016 sur Atlantico