Chimères homme-animal : jusqu’où iront les manipulations d’embryons ?
La revue américaine Cell a publié une étude révélant la création d’embryons chimères par des chercheurs. L’objectif affiché est celui de parvenir à « cultiver » des organes humains à l’intérieur d’animaux, pour obtenir des greffons, par exemple.
La technique utilise d’un côté des cellules souches humaines totipotentes (issues d’embryons humains ou de cellules somatiques reprogrammées) : ce sont des cellules capables de se transformer en n’importe quel tissu et organe. Et de l’autre côté, des embryons animaux, de cochon en l’occurrence dans ces travaux.
Ces cellules humaines ont été « implantées » dans des embryons animaux. C’est ainsi que 2000 embryons « chimériques » ont été fabriqués. Ces « chimères » sont donc des embryons contenant des cellules humaines et des cellules animales. Plus de 150 embryons ont continué à se développer et ont été implantés dans l’utérus de truies porteuses.
Les chercheurs ont laissé les embryons porc-humains se développer pendant 28 jours (le premier trimestre d’une grossesse de porc) avant que les grossesses soient interrompues et les embryons récupérés. Cette expérience n’a donc pas été menée jusqu’à son terme qui serait la naissance de porcelets « en partie humains ». Cette étude a montré des signes que les cellules humaines commençaient à se transformer en cellules musculaires.
L’équipe d’Izpisua Belmonte a constaté que les cellules souches humaines devaient être injectées exactement au bon stade dans leur propre développement pour qu’elles survivent et deviennent une partie de l’animal en croissance. Car la grossesse du porc dure environ 112 jours, comparativement à neuf mois chez l’homme, ce qui signifie que les cellules embryonnaires se développent à des taux complètement différents.
Des études de ce type ont déjà été menées avec des souris, mais « C’est la première fois que l’on voit des cellules humaines croître à l’intérieur d’un grand animal », a déclaré le professeur Juan Carlos Izpisua Belmonte, du Salk Institute. Plusieurs objectifs sont avancés par les chercheurs pour réaliser ce type d’études. Par exemple, celui d’ouvrir la voie à l’incubation d’organes humains, génétiquement adaptés à un patient en attente de greffe. Celui de tester de nouveaux médicaments. Egalement, pour étudier certaines pathologies, mieux comprendre le développement embryonnaire ou les différences dans le développement de certains organes.
Pour Juan Carlos Izpisua Belmonte, professeur à l’Institut Salk d’études biologiques à La Jolla, en Californie, principal auteur de ces travaux, « C’est une première étape importante. Le but ultime est de cultiver des tissus ou des organes humains (pancréas, foie, cœur…) chez des animaux comme des truies qui pourront être greffés sans rejet, mais nous en sommes encore loin ».
Pour neutraliser les problèmes de compatibilité immunologique, la modification de l’ADN pourrait entrer aussi en jeu. Pour obtenir des porcelets possédant un pancréas humain, les chercheurs utilisent l’outil CRISPR-Cas9, afin de neutraliser un gène indispensable au développement du pancréas porcin. Ainsi, la greffe d’un pancréas humain fabriqué par une chimère homme-porc pourrait être envisagée pour le traitement d’un diabète grave. Et si les cellules humaines iPS utilisées proviennent des propres cellules du patient, une telle greffe ne nécessiterait pas de traitement immunosuppresseur à vie.
Les questions éthiques soulevées sont nombreuses. L’institut national de santé des États-Unis (NIH) a imposé il y a déjà plus d’un an un moratoire sur le financement de ces expériences controversées.
Le professeur Daniel Garry, cardiologue et responsable d’un projet de chimère dans l’Université du Minnesota, a déclaré que ces techniques : « suscitent une série de questions troublantes, y compris celle de savoir si la progéniture serait plus humaine ou plus porcine, ce qui arriverait si une chimère avait une pensée humaine et s’il était possible pour les cellules humaines de « cannibaliser » l’embryon de porc, ce qui entraînerait une descendance en grande partie humaine et légèrement porcine ».
Pour le Pr John De Vos du département d’ingénierie cellulaire et tissulaire de l’hôpital Saint-Éloi (Montpellier) « il conviendrait de déterminer un pourcentage de contribution humaine dans le cerveau animal qu’il ne faudrait jamais dépasser, en limitant par exemple la présence de neurones d’origine humaine à 1% ».
Il ajoute que plusieurs limites ne devront jamais être franchies. « La première concerne la migration de cellules humaines dans le cerveau de l’animal, car elle pourrait le doter de capacités humaines ». Des moyens ont été imaginés pour éviter ce risque. Un gène essentiel au développement du système nerveux central pourrait être désactivé dans les cellules iPS injectées dans les embryons animaux.
Autre solution envisagée : ces cellules pluripotentes pourraient être déjà orientées pour ne donner naissance qu’à des cellules de l’appareil digestif ou cardiovasculaire, et donc en aucun cas à des neurones. « Il est une autre ligne rouge à ne jamais franchir : la production de gamètes humains par les organes reproducteurs des chimères homme-animal », ajoute le chercheur. Enfin, les animaux présentant des signes extérieurs humains, tel un embryon porcin dont les extrémités ressembleraient à des mains ou à des pieds, devraient être sacrifiés avant leur naissance.
De telles pratiques, qui brouillent la distinction entre les corps humains et animaux ne mettent-elles pas en danger l’identité de l’homme ? Jusqu’où iront les manipulations d’embryons ?
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