Le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP), réuni le 6 septembre 2016 pour finaliser le projet de refonte du code de déontologie des pharmaciens, a renoncé à introduire une clause de conscience explicite, proposée dans un pré-projet. En effet ce besoin avait été exprimé par 85% des pharmaciens au cours d’une récente consultation « interne » en décembre 2015, proposée par l’Ordre aux 75 000 pharmaciens inscrits.
La préoccupation du CNOP était de faire évoluer son code de déontologie, pour qu’il puisse être en « adéquation avec son temps, dans un contexte professionnel qui soumet les pharmaciens, acteurs de santé publique de premier plan, à de fortes exigences éthiques ».
La clause de conscience qui était envisagée concernait les actes pharmaceutiques susceptibles d’attenter à la vie humaine. L’article sur la clause de conscience, dans cette première version, était ainsi rédigé : « Sans préjudice du droit des patients à l’accès ou à la continuité des soins, le pharmacien peut refuser d’effectuer un acte pharmaceutique susceptible d’attenter à la vie humaine. Il doit alors informer le patient et tout mettre en œuvre pour s’assurer que celui-ci sera pris en charge sans délai par un autre pharmacien. Si tel n’est pas le cas, le pharmacien est tenu d’accomplir l’acte pharmaceutique ».
En effet, comme le souligne le code de déontologie actuel ( Art R4235-2 du code de la santé publique), les pharmaciens ont l’obligation déontologique d’exercer leur métier « dans le respect de la vie et de la personne humaine ».
Depuis quelques années se présente à eux désormais la demande de délivrance de produits abortifs, avec le développement de l’avortement médicamenteux effectué par des médecins en ville ou des sages-femmes, voire, dans le futur, de produits létaux (une possibilité qui ne peut être écartée depuis la nouvelle loi du 2 février 2016 sur la fin de vie, en lien avec les actes de sédation profonde et continue pouvant conduire à des suicides assistés et des euthanasies).
Le Code de la santé publique (article L2212-8) accorde une clause de conscience concernant l’IVG aux professionnels médicaux que sont les médecins, sages-femmes, infirmiers et autres auxiliaires médicaux, mais pas aux pharmaciens qui à l’origine n’étaient pas concernés par l’IVG.
Un droit à l’objection de conscience pour les professionnels de santé « dans le cadre des soins médicaux légaux » a été réaffirmé dans une résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en 2010 pour les actes qui attentent à la vie (avortement, euthanasie, destruction d’embryons humains).
Comme l’explique le juriste Jean-Baptiste Chevalier, dans une tribune du 5 septembre : « Elle [la clause de conscience] est pourtant la condition pour qu’ils puissent jouir, dans le cadre de leur fonction, d’une pleine liberté de conscience, laquelle est consacrée par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme ». Cet avocat au barreau de Paris précise même : « On ne peut donc sans attenter gravement à leur liberté de conscience, imposer aux pharmaciens de délivrer des produits destinés à provoquer la mort ». Car agir ainsi est profondément contradictoire avec leur vocation première qui est de fournir des produits de soins aux patients.
En contrepartie d’une clause de conscience, rappelons que le projet d’article finalement supprimé indiquait qu’un pharmacien invoquant la clause avait néanmoins l’obligation de proposer au patient une solution, et de s’assurer de sa prise en charge et de la continuité des soins.
Par crainte d’une remise en cause de l’avortement, une virulente polémique avait envahi les réseaux sociaux mi-juillet, largement relayée par des mouvements « pro-avortement », polémique à laquelle avaient même pris part les ministres Laurence Rossignol et Marisol Touraine.
La reculade de l’Ordre des pharmaciens est un épisode emblématique d’une offensive idéologique concertée contre le droit à l’objection de conscience. En réalité, les modalités d’exercice d’un tel droit devraient être renouvelées pour les adapter aux conditions nouvelles d’exercice des professions soignantes, liées à la diffusion de produits susceptibles de provoquer délibérément la mort.
Les pharmaciens français sont donc discriminés : ils demeurent les seuls professionnels médicaux en France à ne pas bénéficier de la clause de conscience quand une vie est en jeu. Plusieurs autres pays d’Europe la leur accordent. Rappelons par exemple qu’en Belgique, les pharmaciens ne sont pas tenus de délivrer des produits d’euthanasie.
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Pour aller plus loin : Les clauses de conscience reconnues en France