Dans une tribune du journal La Croix du lundi 13 juin 2016, Tugdual Derville récapitule la façon dont l’embryon humain est devenu, étape par étape, l’objet des plus grandes convoitises. Expérimentations in vitro, clonage, CRISPR-Cas9… L’embryon transgénique menace désormais l’humanité de dénaturation. Le délégué général d’Alliance VITA plaide pour un engagement biopolitique déterminé de la France contre l’utilitarisme anglo-saxon qui ne cesse d’amplifier la chosification de l’embryon humain.
« L’embryon humain est plus que jamais objet de convoitise. En mettant le doigt sur le tout début de la vie, certains chercheurs sont déterminés à la maîtriser pour la transformer, quitte à changer le destin de l’humanité. C’est l’intention ouvertement assumée par les transhumanistes.
Trois étapes ont accéléré ce processus. En 1978, la fécondation artificielle hors du corps maternel a ouvert le champ des possibles. En 1996, l’irruption du clonage des mammifères a fait entrevoir la possibilité d’une rupture radicale entre la procréation et l’altérité sexuelle. Monumentale transgression, la tentation de cloner l’homme n’est pas éteinte, et nul ne sait ce qui se passe dans le secret de certains laboratoires. Désormais, la découverte très novatrice du CRISPR-Cas9 relance les fantasmes. Il ne s’agirait plus de dupliquer l’homme en laboratoire – en le « reproduisant » plutôt que de procréer à deux – mais de le refaçonner, en modifiant son code génétique.
Comme toujours, le mobile thérapeutique est avancé. Mais s’il faut récuser en bloc toute forme de clonage humain, il en va autrement de l’usage du CRISPR-Cas9 sur l’homme. Cette technique peut relever du pire comme du meilleur. Appliqué aux personnes souffrant de certaines maladies, ce « ciseau génétique » pourrait en effet les soulager ou les guérir. Même si cette perspective n’est ni immédiate, ni garantie, ce sont des pistes de recherche qu’on peut soutenir.
Tout autre est l’application de la même technique aux embryons ou aux gamètes : elle introduirait une modification irréversible de l’ensemble du génome d’un être humain… La fabrication d’embryons transgéniques est pourtant déjà revendiquée par des chercheurs chinois. Autorisée en Grande-Bretagne, elle inquiète jusqu’aux deux découvreuses du CRISPR-Cas9. C’est en réalité une transgression inédite, aux conséquences abyssales.
Rappelons d’abord que cette perspective a été ouverte par la possibilité de traiter des embryons – êtres humains vivants – en matériau de laboratoire, comme si la disparition d’un « projet parental » pouvait leur conférer le statut de chose. Légaliser une recherche qui détruit l’embryon constitue la rupture originelle qui a favorisé l’instrumentalisation de la vie.
La loi française a autorisé cette dérive par étapes de plus en plus laxistes. Elle vient, subrepticement, de l’aggraver sans aucun débat : un amendement à la loi Santé, au libellé particulièrement flou, permet désormais que les gamètes ou les embryons humains conçus in vitro soient objets de recherches biomédicales « en vue de faire naître un enfant »… Glissement vers une nouvelle forme d’eugénisme ?
Avec le CRISPR-Cas9, un pas de plus peut donc être franchi, par l’intrusion des chercheurs au cœur de l’ADN, au stade le plus précoce de l’existence humaine. On argue que ces embryons génétiquement modifiés seront détruits… D’une part, traiter un être humain comme un cobaye est, en soi, inacceptable ; d’autre part la technique du pied dans la porte et des petits pas est bien connue : quand les expérimentations auront avancé, la tentation de légaliser l’implantation d’un embryon transgénique corrigé d’une anomalie génétique sera irrépressible… Ces bébés OGM, cobayes à vie de la manipulation de leurs gènes, transmettraient aux générations futures ces mutations dont nous ignorons la réelle portée. Faut-il souligner à quel point la science génétique tâtonne ? Les interactions entre les gènes sont mal connues. En toucher une partie risque de déstabiliser tout l’ensemble.
Nous sommes tous concernés. La profanation du « sanctuaire de la vie humaine » peut induire une catastrophe d’écologie humaine de plus grande ampleur que toutes celles qui ont jalonné notre histoire.
Plus l’Homme est puissant, plus sa capacité d’autodestruction est grande. Les exemples d’apprentis-sorciers fourmillent. Il y a de quoi appeler les scientifiques à la sagesse, et à l’humilité, et inciter les politiques à se saisir sans plus tarder de ces sujets. Une régulation biopolitique des velléités scientistes est une urgence. L’appel citoyen que nous avons lancé avec Alliance VITA, Stop Bébé OGM, demande au président de la République de s’engager pour un moratoire de l’usage du CRISPR-Cas9 sur l’embryon et les cellules germinales. Face aux intérêts financiers en jeu, notre pays récuse encore la marchandisation du corps. Cette exception bioéthique française mérite d’être saluée. La France est bien placée pour résister à l’utilitarisme anglo-saxon, en faisant valoir sa conception universelle de la dignité humaine, sans exclure l’embryon . »