En France, plusieurs institutions se penchent sur les questions éthiques soulevées par la technique de modification du génome CRISPR-Cas9. Dans la revue Science et Santé de juin 2016 éditée par l’Inserm, trois spécialistes livrent leur point de vue scientifique, éthique et réglementaire.
Jean-Claude Ameisen, président du Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE), partage des remarques personnelles. Pour lui, « des applications possibles de la technique CRISPR-Cas9 posent des problèmes éthiques », en particulier la thérapie génique qui a donné lieu à des réflexions internationales et à la Convention d’Oviedo. « Un moratoire sur ce type de traitement » lui semble « nécessaire, au moins par sécurité », bien que « la recherche doit, elle, être encouragée ».
Pour Carine Giovannangeli, biologiste moléculaire[i], « il s’agit d’une véritable révolution technologique et scientifique qui devrait faire massivement progresser la compréhension des mécanismes biologiques fondamentaux du vivant, la thérapie génique ou les biotechnologies. Pour éviter les dérives, le respect des bonnes pratiques et des réglementations en vigueur est indispensable. De plus, la technique n’est pas infaillible, elle ne doit pas encore être utilisée pour transmettre une modification à la descendance humaine ». Mais pour elle, « les recherches doivent porter sur une grande diversité de systèmes, sans exclure les cellules germinales ».
Pour Agnès Saint-Raymond, responsable du Programme Design Board de l’Agence européenne des médicaments, « les essais menés en Chine et aux États-Unis contre le VIH et la bêta-thalassémie montrent que tout n’est pas encore maîtrisé, même si les recherches avancent vite ». Elle explique qu’« en Europe, certains pays autorisent la création d’embryons pour la recherche, tels le Royaume-Uni ou la Belgique, qui n’ont pas signé la Convention d’Oviedo. L’Institut Francis Crick, à Londres, vient de lancer des recherches génétiques sur la fertilité et l’implantation de l’embryon. Parmi les pays qui s’interdisent de modifier les cellules germinales, certains, comme la France, réalisent des recherches sur des embryons sans projets parentaux. La Commission européenne est donc réticente à financer toute recherche génétique sur l’embryon tant les divergences sont profondes. Reste que le train a déjà quitté la gare : le débat n’est plus de savoir s’il faut un moratoire sur cette technique prometteuse. Les bonnes pratiques et l’évaluation du rapport efficacité/sécurité guident toute autorisation. Et les principes éthiques doivent éclairer plutôt que contraindre. Pour certains parents, transmettre une maladie génétique à leurs enfants est une très lourde charge. Y aurait-il un intérêt médical à l’éviter, en intervenant sur les cellules germinales ? Dans un contexte incertain, modifier l’espèce semble très aventureux, mais le débat n’appartient pas aux seuls médecins : la société civile tout entière doit pouvoir y participer ! »
« Nous constatons que de nombreux spécialistes s’accordent sur la gravité des risques liés à la modification du génome de l’embryon ou des gamètes humains. Pour autant, ils se montrent singulièrement timorés quand il s’agit d’encadrer la recherche sur l’embryon. De telles recherches constituent pourtant la première étape d’un glissement accéléré vers des pratiques eugéniques et transhumanistes. Il faut être lucide : si les techniques se perfectionnent, et montrent dans l’avenir que des embryons ainsi modifiés sont viables, on voudra faire naître des bébés OGM. Ils seront alors les cobayes à vie de la technique qui les aura fabriqués. La France doit être à l’avant-garde éthique, comme elle l’est encore, au plan mondial, quand elle défend la non-marchandisation du corps humain et de ses produits. L’encadrement éthique des techniques de recherche sur l’embryon et les gamètes doit faire l’objet d’une action internationale où notre pays peut être en pointe. »
Pour aller plus loin
Tribune « Humbles face à l’embryon » de Tugdual Derville
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[i] De l’unité 1154 Inserm/ CNRS – Muséum national d’histoire naturelle, Structure et instabilité des génomes.