Les soins funéraires de conservation pourraient être interdits à domicile, à la suite d’un amendement déposé dans le cadre du projet de loi relatif à la santé actuellement en cours de discussion au Parlement. Les raisons de la ministre de la Santé pour interdire les soins de thanatopraxie à domicile font référence à quatre rapports officiels, considérés comme concordants :
– Rapport du Haut Conseil de la santé publique de décembre 2012 et novembre 2009
– Rapport du Défenseur des Droits d’octobre 2012
– Rapport conjoint de l’IGAS et de l’IGA de juillet 2013
Les principaux arguments sont repris d’un rapport à l’autre, mais reposent sur des présupposés ou des analyses partielles, voir partiales.
A) Les décès à domicile ont-ils vocation à disparaître ?
Sur une moyenne de 550 000 décès annuels, ceux survenus à domicile représentent 27% en 2008, soit environ 150 000 décès (contre 70% dans les années 50, mais avec une tendance à la stabilisation depuis les années 90).
Par ailleurs, sur les 200 000 actes de thanatopraxie recensés (soit 1/3 des décès), 23% auraient lieu au domicile selon une étude publiée en 2000, soit environ 46 000 actes.
On retrouve donc une proportion similaire : ¼ des décès ont lieu à domicile, et ¼ des soins de conservation ont également lieu à domicile.
Il est donc tout à fait excessif d’affirmer que « le lieu principal de l’activité de soins funéraires abandonne le domicile pour un lieu collectif » (Rapport IGAS/IGA de 2912, p 15).
De plus, les statistiques sont peu fiables. Par exemple, le pourcentage de soins de conservation par rapport aux décès varient fortement d’un rapport à l’autre : de 25-30% (Haut Conseil de la Santé publique) à 40-50% (Défenseur des droits). Ce chiffre serait de 15% à Paris et 43% en province. Le nombre de thanatopracteurs varie de 888 (Revue Travail et Santé) à 1586 (Ministère de la santé).
Il semble en réalité que de façon structurelle, une partie de la population (environ ¼), surtout dans les régions rurales, reste attachée au maintien au domicile des personnes jusqu’à leur décès, puis aux rites funéraires traditionnels dans notre pays : ceux-ci comprennent habituellement la toilette funéraire, l’exposition et la veille du défunt dans sa chambre ou dans une pièce commune, la visite de la famille et des voisins y compris après la fermeture du cercueil. La personne décédée reste ainsi « dans son lieu de vie », pouvant être veillée jour et nuit sans les contraintes d’horaires et d’organisation que l’on peut subir dans des lieux publics comme les funérariums.
B) Les actes de thanatopraxie présentent-ils des risques sanitaires non négligeables ?
Dans son rapport de décembre 2012, qui constitue la base de toutes les recommandations des pouvoirs publics, le Haut Conseil de la Santé Publique analyse de façon détaillée les risques infectieux, principalement biologiques et chimiques, qui menacent la profession de thanatopracteur.
Une lecture attentive des données mises en avant pour justifier ces risques montre qu’en réalité, ces études et analyses sont anciennes (plus de 20-25 ans), et surtout se situent pour la plupart dans des pays étrangers, principalement aux Etats-Unis. Les résultats sont globalement controversés, avec des variations souvent non significatives entre les populations témoins et les professionnels concernés.
Au final, les membres du groupe de travail technique se sont révélés très partagés sur l’opportunité de l’interdiction des actes de thanatopraxie à domicile. Ils concluaient leur rapport ainsi : « Il apparaît donc que le débat repose en fait sur l’acceptabilité de ce risque pour les thanatopracteurs, par rapport au bénéfice attendu pour les familles des défunts, ce qui relève d’une réflexion sociétale. »
Ce débat sociétal fait justement défaut, les différents rapports n’ayant à aucun moment considéré les enjeux sociologiques, culturels ou religieux, du maintien des défunts à leur domicile. Seuls des arguments sanitaires ou de contrôle administratif ont été pris en compte.
Le rapport de synthèse de l’IGAS-IGA de juillet 2013, quant à lui, invoque le principe de précaution et d’uniformisation des pratiques, face à une « activité à risque ». Cependant, même si ce métier comporte plus de risques que d’autres, il n’est pas prouvé que des accidents surviennent, et surtout qu’ils auraient lieu au domicile plutôt que dans d’autres lieux. L’Institut de Veille Sanitaire « reconnait qu’il ne dispose pas de donnée sur les accidents exposant au sang chez les thanatopracteurs ni concernant la surveillance des contaminations professionnelles virales. »
La sénatrice Isabelle Debré, lors des débats parlementaires le 1er octobre 2015, a ainsi résumé la situation : « Le principe de précaution ? Je ne le crois pas, car nous avons interrogé les différents acteurs de cette pratique, ainsi que l’ordre des médecins : ils nous ont assuré qu’il n’y avait jamais eu de cas de contamination ».
Conclusion
Il est certainement possible de mieux organiser la profession de thanatopracteur et de maintenir un haut niveau de protection sanitaire, comme le souhaite à juste titre le gouvernement, sans interdire les soins de conservation à domicile. Améliorer la formation initiale et continue bénéficiera à tous les professionnels, quel que soit le lieu de leurs interventions.
De même, il est possible d’autoriser les soins de conservation aux personnes atteintes du virus VIH ou de l’hépatite, sans interdire les soins de conservation à domicile, mais avec des règles sanitaires accrues, dont la vaccination des thanatopracteurs. Une mesure de compromis serait de réserver ces soins dans des lieux dédiés, lorsque le certificat de décès fait mention d’une de ces infections.