Affaire Bonnemaison : Entre soulagement et effroi

27/10/2015

Tugdual Derville réagit à la condamnation en appel du docteur Bonnemaison, par la cour d’assises d’Angers, à deux ans de prison avec sursis pour un seul empoisonnement.

Quelle est votre appréciation sur cette peine ?

Il faut lire cette peine dans le contexte d’un procès en appel : après un premier acquittement scandaleux en juin 2014, une condamnation était essentielle. En dédouanant totalement le docteur Bonnemaison, la cour d’assises de Pau avait lancé un signal dramatique : un médecin pouvait tuer ses patients sans encourir de sanction pénale…

Plusieurs manifestations indécentes de soutien au docteur Bonnemaison avaient mobilisé des dizaines de soignants de son hôpital de Bayonne, semblant montrer que la vie de malades âgés, fragiles et proches de la fin, ne faisait pas le poids devant l’atteinte à la réputation d’un collègue, enfant bien-aimé du pays.

Il y a dix-sept mois, nous nous étions mobilisés pour obtenir du ministère public qu’il fasse appel. Et nous venons d’assister au même retournement que dans l’affaire Debaine, en 2008 : il s’agissait du meurtre d’une personne handicapée par sa mère désespérée. Lydie Debaine avait initialement bénéficié d’un acquittement avant d’être, elle aussi, condamnée à une peine symbolique en appel.

Pour Nicolas Bonne-maison aux assises d’Angers, à plus grande distance de la confusion émotionnelle observée à Pau, l’enjeu n’était plus tant la nature de la peine que le principe d’une peine. C’est en ce sens que la condamnation de deux ans de prison avec sursis est partiellement rassurante. L’interdit de tuer un patient reste un principe intangible.

Pourtant, un seul empoisonnement sur sept a été sanctionné…

Nous n’étions évidemment pas dans la délibération du jury, mais ce résultat est effectivement étrange et, pour tout dire, absurde. La plupart des médias s’accordent pour dire qu’un tel verdict alimente la confusion…

L’impression générale est que le jury n’a pas consenti à blanchir le médecin, par ailleurs déjà radié de son ordre professionnel. Mais qu’il n’a pas voulu l’accabler. Chacun sait bien, cependant, que les six autres cas auraient pu valoir sanction.

Il faut se demander ce que le « cas » de madame Iramuno – le seul pour lequel Nicolas Bonnemaison est convaincu d’empoisonnement – a de spécifique : un délai très bref entre l’injection d’Hypnovel et la mort de la patiente ; un geste décidé et effectué par le médecin seul, de façon expéditive, puis l’abandon des conséquences à une jeune aide-soignante laissée seule pour accompagner la patiente ; le pari honteux sur la mort de cette victime dont le gain (un gâteau au chocolat) sera d’ailleurs réclamé une fois le décès survenu ; et, bien sûr, la constitution du fils de madame Iramuno comme partie civile. Au fond, les jurés n’ont pu qu’être impressionnés par la conjonction des accusations précises des soignantes et du désarroi de la famille de cette patiente.

Pourquoi est-ce pour de l’Hypnovel (un puissant sédatif) que l’accusé est condamné et non pour les deux cas d’administration d’un dérivé du curare, qui n’est pas un médicament autorisé en fin de vie ?

Justement, c’est à mon avis parce que les familles des deux « victimes » du Norcuron soutiennent le médecin. Une condamnation les aurait fait protester à grand bruit. Ici encore, c’est l’émotion qui anesthésie la raison. Si on y réfléchit un instant, c’est effrayant quant au principe d’égalité devant la justice.

Notre société individualiste est aussi celle de la toute-puissance des forts. Elle en arrive à entretenir une conception fusionnelle de la famille qui porte atteinte à la protection des plus fragiles. Tout se passe comme s’il appartenait aux valides de décider du sort des dépendants… En l’absence de « projet parental », la vie n’est pas considérée comme digne de respect à ses débuts. De même, les personnes âgées privées de « soutien filial » sont moins protégées quand elles approchent de leur fin. En réalité, demander au membre d’une famille de décerner des brevets de vie ou des arrêts de mort sur une personne fragile, c’est faire peser sur lui un pouvoir exorbitant, inhumain dans tous les sens du terme.

Quel est l’impact du procès sur le débat fin de vie au Parlement ?

Nous avons évité la dépénalisation jurisprudentielle de l’euthanasie qu’un acquittement aurait induite. Le défilé de militants de l’euthanasie venus soutenir l’accusé d’Angers, certains venant de Belgique, a fait du prétoire une tribune assez confuse de leurs revendications. Nous avons au moins la preuve qu’il existe des sédations euthanasiques, puisque c’est bel et bien avec un sédatif très classique que Nicolas Bonnemaison a empoisonné madame Iramuno. Notre alerte sur la sédation profonde et continue jusqu’au décès contenue dans la proposition de loi fin de vie est totalement validée, d’autant que ses auteurs ont refusé de préciser dans leur texte que la question de l’intention — ou non — de donner la mort n’avait pas à entrer en ligne de compte.

La ligne d’argumentation adoptée par certains des témoins qui ont défilé à la barre est inquiétante sur leur conception de la fin de vie : plus que le principe même de provoquer la mort, c’est le déficit de collégialité dans la décision de prescrire et l’absence d’information des proches qu’ils ont contestés chez l’accusé.

Il reste que le docteur Bonnemaison a martelé avoir toujours eu l’intention de « soulager mais pas tuer », et que Jean Leonetti a également utilisé cette formule pour défendre sa nouvelle loi. Il faut que les parlementaires qui finissent d’examiner ce texte ces semaines-ci aient la sagesse de l’amender clairement dans ce sens, s’ils veulent être cohérents avec cette intention.

Propos recueillis par Frédéric Aimard

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