Le 3 octobre, les opposants à l’euthanasie sont conviés à manifester devant les nouvelles préfectures régionales. Le délégué général d’Alliance VITA nous dit pourquoi.
Où en est le parcours législatif de la loi fin de vie ?
Tugdual Derville : La loi dite Claeys-Leonetti revient en seconde lecture à l’Assemblée nationale à partir du 5 octobre 2015, sans avoir été finalement modifiée par le Sénat. Son passage en juin devant les sénateurs a donné cet étrange résultat : après un travail approfondi en commission, puis en séance, le texte avait été très remanié. Toutes ses ambiguïtés avaient été corrigées, notamment celles que nous avions dénoncées par l’expression « euthanasie masquée ».
Mais lors du vote solennel au Sénat, le gouvernement a obtenu le rejet de ce nouveau texte. Le projet garde donc les mêmes faiblesses que celui voté en mars 2015. Même l’adverbe choquant« inutilement », que Marisol Touraine avait promis de supprimer dans l’expression « prolonger inutilement sa vie », est resté…
Vous avez lancé un appel à manifester dans les régions le 3 octobre 2015. Pourquoi ?
Il faut impérativement nous faire entendre, alors que l’ADMD [Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité] fait feu de tout bois. Nous nous joignons donc aux treize rassemblements organisés sous la bannière du mouvement unitaire Soulager mais pas tuer, dans les villes-préfectures des nouvelles régions, le samedi 3 octobre à 11 heures.
Le danger de ce texte doit être connu de tous. Pour les soins palliatifs, nous devons aussi obtenir du gouvernement qu’il passe des paroles aux actes. Depuis trois ans, il a recyclé, mois après mois, la même promesse de mettre en œuvre un plan de développement des soins palliatifs. C’est devenu une arlésienne, l’alibi numéro un de la loi fin de vie, alors qu’elle ne comporte rien de concret dans ce domaine.
Que pensez-vous de ceux qui soutiennent cette loi, tout en se disant hostiles à l’euthanasie ?
Qu’ils jouent avec le feu. Il n’est pas très difficile de prouver l’ambiguïté du texte. Du reste, parmi les personnalités qui croient devoir le soutenir, beaucoup confient volontiers qu’il est à la fois inutile et dangereux. Je pense que c’est même largement l’avis du député Jean Leonetti qui associe son nom à la loi. Médiatisée à outrance — alors qu’elle mobilise peu de monde — l’ADMD fait figure d’épouvantail, conduisant certains à soutenir du mauvais pour éviter le pire. Mais c’est un calcul dangereux. Avec la « sédation profonde et continue jusqu’au décès » assortie d’un arrêt d’hydratation, on bascule sur la pente glissante de l’euthanasie.
Pourquoi ?
Provoquer délibérément la mort, en quelques jours, c’est une euthanasie qui ne dit pas son nom. Est-ce juste de contourner le mot ? Cette dérive sera mélangée aux pratiques légitimes de sédation. Déjà, le public est troublé. Nous le constatons dans les témoignages reçus par notre site d’écoute SOS Fin de vie. Les promoteurs de l’injection létale ont beau jeu de dire que leur projet explicite et expéditif est moins hypocrite…
Ils s’emparent déjà de ce qu’ils appellent improprement « la mort de faim et de soif » (il est plus juste de dire dénutrition et déshydratation). On sait comme ils savent médiatiser les « agonies interminables ».
Comment vous situez-vous par rapport au mouvement des soins palliatifs ?
Nombre de soignants — médecins, infirmières, psychologues, bénévoles — sont engagés à nos côtés pour contester cette loi ; ils sont bien placés pour mesurer la menace de ses dispositions sur leur pratique… Sur le plan institutionnel, le mouvement des soins palliatifs me paraît à la croisée des chemins. Si la plupart de ses membres demeurent hostiles à l’euthanasie, certains sont ambigus… Notamment sur le suicide assisté. Une doctrine fragile de la sédation risque de conduire à des euthanasies masquées. Distiller l’euthanasie dans les soins palliatifs, c’est bien l’objectif des promoteurs de l’euthanasie. Et c’est ce qui s’est passé en Belgique où les deux pratiques sont désormais confondues, générant flou et inquiétude. Mais il ne faut pas résumer le débat aux soignants ou aux soins palliatifs. La mort nous concerne tous. Toutes les disciplines médicales sont concernées. En Grande-Bretagne, dont le Parlement vient de voter contre le suicide assisté, le témoignage des personnes handicapées a eu un fort impact. Avec Philippe Pozzo di Borgo, qui parraine Soulager mais pas tuer, nous disons : « Ne touchez pas aux Intouchables ! » Devant la loi fin de vie, comme dans nos rassemblements, les plus fragiles sont en première ligne.
Propos recueillis par Frédéric Aimard.