Les décisions qui sont prises autour de Vincent Lambert démontrent que notre droit ne joue plus son rôle de protection des personnes les plus fragiles de notre société. Les procédures et la lettre de la loi sont apparemment respectées, mais l’esprit s’en trouve profondément trahi.
En effet, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a décrété que la loi de 2005 sur le droit des patients à arrêter leur traitement s’appliquait au cas de Vincent Lambert. Cette loi est destinée à prévenir toute obstination déraisonnable dans les traitements, à mieux prendre en compte le souhait du patient et mettre en œuvre une procédure collégiale en cas d’incapacité du patient à s’exprimer, et à développer les soins palliatifs pour les rendre accessibles à tous.
Nous assistons dans le cas de Vincent Lambert à un détournement inquiétant de cette loi, accompagné d’un souci scrupuleux de sauver les apparences de son application. En effet, Vincent n’est victime d’aucune obstination déraisonnable, et n’est ni en fin de vie, ni maintenu artificiellement en vie. Certains articles de presse évoquent un patient dans le coma, ou encore une « interminable agonie ». Les images qui démontrent le contraire ont été tour à tour exhibées puis dissimulées par les médias, au nom du respect de la vie privée. Mais Vincent est seulement profondément handicapé, et nourri par une sonde gastrique adaptée à son état de santé, comme des milliers de personnes handicapées en France.
Vincent ne peut exprimer aujourd’hui sa volonté, et les décisions médicales le concernant font l’objet d’une procédure collégiale. A ce titre, l’équipe soignante a convoqué deux fois la famille de Vincent, d’abord pour un simulacre de consultation, puis pour les informer de leur décision. La procédure est appliquée, mais est-elle respectée ? Les demandes légitimes d’une partie de la famille de soins mieux adaptés au cas de Vincent sont tout simplement ignorées. Des avis externes à l’équipe médicale du CHU de Reims sont négligés, comme ceux de l’association des familles de traumatisés crâniens et cérébro-lésés (UNAFTC).
Aujourd’hui, l’obstination déraisonnable, n’est-ce pas celle du CHU de Reims, enfermé dans une logique d’auto-justification et qui refuse de confier Vincent à une structure de soin adaptée à son cas, malgré des demandes répétées ? Les parents de Vincent affirment qu’il est maltraité car il ne bénéficie pas des soins dont bénéficient les patients souffrant d’une pathologie similaire : kinésithérapie, stimulation, mobilisation. Les images de Vincent (tant décriées) ont montré que ses capacités de déglutition pourraient bénéficier d’une rééducation adaptée.
L’obstination déraisonnable, n’est-ce pas celle d’une presse qui a fait de Vincent une figure emblématique de la question de la fin de vie, et qui le prend en otage d’un débat qui ne le concerne pas car il n’est justement pas en fin de vie ? Le CSA lui-même se fait complice de l’omerta qui entoure l’état de santé de Vincent. Quel journaliste osera enfin enquêter pour informer le public en vérité ?
L’obstination déraisonnable, n’est-ce pas celle d’un système judiciaire qui défend le bienfondé de ses textes et de ses procédures, et aboutit finalement à un recul du droit et du respect de la dignité humaine, comme le dénoncent les cinq juges de la CEDH qui désapprouvent la décision qui a été rendue ? Qui délivrera Vincent de la spirale juridique infernale, pour prêter enfin attention à la réalité de son état de santé ?
Dans l’affaire Vincent Lambert, ce sont nos institutions qui se rendent complices de maltraitance, et peut-être bientôt d’euthanasie, démontrant ainsi une dérive de notre état de droit vers l’application arbitraire et impitoyable de ses procédures, au détriment des personnes les plus fragiles que notre société se doit de protéger.
Nous sommes tous menacés à terme par une telle dérive, nous sommes tous des Vincent Lambert en puissance.