1 – Définition de la sédation
La sédation consiste en « la recherche, par des moyens médicamenteux, d’une diminution de la vigilance pouvant aller jusqu’à la perte de conscience, dans le but de diminuer ou de faire disparaître la perception d’une situation vécue comme insupportable par le patient, alors que tous les moyens disponibles et adaptés à cette situation ont pu lui être proposés et mis en œuvre sans permettre d’obtenir le soulagement escompté par le patient »[1].
La sédation peut être appliquée de façon intermittente, transitoire ou continue.
L’expression « sédation en phase terminale » concerne la sédation dans les derniers jours ou les dernières semaines de la vie, sans volonté de provoquer la mort, même si les produits utilisés peuvent avoir comme conséquence indirecte un décès plus rapide (mais dans un délai impossible à mesurer précisément). Le député Jean Leonetti, dans sa proposition de loi du 27 février 2013[2], utilise l’expression « traitement à visée sédative » à réaliser « en phase terminale », ce qui peut laisser penser qu’il se situe dans ce cadre d’interprétation.
L’expression « sédation terminale » est par contre utilisée pour exprimer la volonté non seulement d’endormir, mais aussi d’accélérer la survenue de la mort dans un délai rapide. L’Ordre national des médecins, dans un communiqué du 8 février 2013, préconise ainsi qu’il soit possible de réaliser « une sédation adaptée, profonde et terminale », avec la mise en place d’une clause de conscience. Ce qui a entrainé la réaction suivante de l’Académie de Médecine, dès le 28 février 2013 : « dès lors que l’on parle de sédation terminale, le but n’est plus de soulager et d’accompagner le patient, mais de lui donner la mort ».
Comme pour tout traitement, la loi actuelle précise que le consentement et/ou les directives anticipées du patient doivent être recherchés ou, s’il est hors d’état de s’exprimer, que la personne de confiance ou à défaut les proches doivent être consultés.
2 – Des situations exceptionnelles
« Les situations dans lesquelles la question d’une sédation se pose sont exceptionnelles, singulières et complexes. Elles sont d’autant plus rares que l’évaluation et le traitement des symptômes ont été mis en place de façon rigoureuse et précoce. Dans la pratique, deux catégories de situation se distinguent:
– les situations à risque vital immédiat en phase terminale ;
– les symptômes réfractaires en phase terminale ou palliative.
Dans les situations à risque vital immédiat, la sédation a pour but de soulager la personne malade de la pénibilité et l’effroi générés par ces situations. En phase terminale, la sédation est alors un geste d’urgence pouvant influer sur le moment de la mort (précipiter ou retarder). Le médecin prescripteur assume la responsabilité de cette décision avec la part d’incertitude qu’elle comporte. Dans la mesure du possible, la prescription de la sédation doit être une prescription anticipée.
En phase palliative, les symptômes réfractaires peuvent parfois redevenir accessibles à des
traitements après une sédation appliquée de façon intermittente ou transitoire. On constate
que le fait d’avoir dormi quelques heures permet au malade un certain temps de répit au réveil, même si la cause du symptôme est toujours présente. »[3]
3 – Les questions éthiques spécifiques liées à la sédation en phase terminale
L’altération du processus cognitif
La question se pose de priver une personne de sa conscience et de toute communication, la rendant dépendante dans un état de grande vulnérabilité. C’est pourquoi ce soin de soulagement doit être réservé à des situations exceptionnelles, en suivant les recommandations émises en 2009 par la Haute Autorité de la Santé.
Le risque euthanasique
Dans un article[4] publié en 2010, «Questions éthiques associées à la pratique de la sédation en phase terminale», Jean-Claude Fondras et Suzanne Rameix analysent la frontière entre sédation et euthanasie de la façon suivante :
« Comment juger si une sédation profonde, continue jusqu’au décès, est sédative ou euthanasique ? Les critères le plus souvent retenus pour la validité éthique d’une décision de sédation sont l’intention du prescripteur, le respect de l’autonomie du patient et le principe de proportionnalité. L’intention d’une personne étant partiellement inaccessible aux autres et, parfois, à la personne elle-même, la valeur morale de la décision est plus facilement mise en évidence par l’examen de l’action et de son contexte que par les explications avancées. De fait, un traitement sédatif, titré, réversible est matériellement et objectivement discernable d’une injection volontairement létale : dans ce cas, nul besoin d’analyser les intentions puisque les données factuelles suffisent à différencier les actes.
Il n’en reste pas moins que, devant des effets secondaires problématiques (« abréger la vie » du patient ou porter atteinte à son autonomie), la détermination de la véritable intention —au sens de l’objectif fixé par le prescripteur— et de sa légitimité reste un point crucial. »
Les auteurs précisent que la sédation profonde et continue constitue une décision particulièrement lourde, qui appelle à la réserver aux malades qui présentent un pronostic vital de courte durée, de quelques heures à quelques jours.
4 – Des exemples de sédations réalisées dans un but euthanasique
La ligne de crête est ténue entre la sédation destinée à apaiser la douleur, même si elle peut avoir comme effet secondaire la mort (pratique autorisée par la loi Leonetti), et la sédation réalisée dans un but euthanasique, c’est à dire en vue de donner la mort (pratique interdite en France). Mais la frontière existe, et il est essentiel de maintenir la distinction en cas de doute sur certaines pratiques médicales, si l’on veut que la loi soit respectée.
A titre d’exemple, le procès du Docteur Bonnemaison à Bayonne, en juin 2014, a mis en lumière l’utilisation de médicaments comme l’Hypnovel : ce produit est souvent utilisé en soins palliatifs, mais il ne doit jamais provoquer le décès du patient s’il est utilisé conformément aux recommandations de bonne pratique de la profession. Le procès ayant révélé que cinq patients étaient décédés rapidement après l’injection de ce produit, on peut avoir de sérieux doutes sur le respect de la titration recommandée, et donc une suspicion légitime sur l’intention euthanasique du médecin.
Autre exemple aux Pays-Bas, qui a légalisé l’euthanasie en 2001 : une étude[5] du Centre intégral du cancer néerlandais a mis en lumière que « chaque année, 1 700 cas de sédations en fin de vie relèveraient d’une pratique inadéquate pouvant cacher des euthanasies ». Ces faits, associés à la hausse croissante du nombre d’euthanasies déclarées, prouvent que les dérives peuvent coexister, voire s’amplifier, quand l’interdit de tuer a été levé.
5 – Alliance VITA dénonce les risques de la « sédation profonde jusqu’au décès » préconisée par le CCNE
Le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) a publié un rapport le 23 octobre 2014 pour faire une synthèse des débats sur la fin de vie réalisés en France depuis deux ans.
Concernant la sédation, le CCNE[6] considère comme une « demande partagée » par l’ensemble du corps social, la création d’un droit à accéder à une sédation profonde jusqu’au décès. Ce droit serait à reconnaître dans deux hypothèses :
– lorsque la personne le demande, en phase terminale de fin de vie ;
– ou lors d’une décision de la personne d’arrêter les traitements qui le maintiennent en vie (sous-entendu : même si la personne n’est pas en fin de vie, comme c’est le cas de Vincent Lambert aujourd’hui).
A la suite de ce rapport, Alliance VITA a alerté dans un communiqué de presse[7] sur les risques d’aboutir à des pratiques d’euthanasies qui ne diraient pas leur nom, cachées sous le vocable technique de « sédation », mais dont l’intention serait clairement de mettre fin à la vie des patients concernés :
« Le CCNE semble tirer de ce constat la promotion de ce qu’il nomme la « sédation profonde jusqu’au décès ». C’est une grave dérive. Nous sommes favorables à la sédation « en phase terminale » : elle doit être prudente, réévaluée selon les critères déontologiques des personnels de santé. Ils peuvent même prendre le risque que la mort survienne plus vite. Mais nous contestons formellement l’euthanasie masquée que constitue la « sédation terminale » telle qu’elle est décrite dans le rapport, et promue en complément non seulement des arrêts de traitements (ce qui est légitime) mais aussi d’arrêts délibérés d’alimentation et d’hydratation.
D’abord la sédation terminale est une forme d’euthanasie car il s’agit d’un moyen de provoquer délibérément la mort, quel que soit le moyen employé. Les deux critères qui définissent l’euthanasie sont en effet l’intention de provoquer la mort et ce résultat.
Ensuite les promoteurs de l’injection létale auront beau jeu de dénoncer l’hypocrisie d’une euthanasie qui ne dit pas son nom. C’est déjà leur argument pour obtenir les étapes suivantes : l’euthanasie par injection létale ou le suicide assisté. »
Cette préoccupation rejoint celle exprimée par de nombreuses personnalités médicales, comme par exemple Emmanuel Hirsch, directeur de l’Espace de réflexion éthique de la région Ile de France : celui-ci estime que la notion de sédation terminale est ambigüe et dangereuse, et qu’il n’y a d’ailleurs pas nécessité de légiférer à nouveau sur la fin de vie[8].
Novembre 2014
[4] Questions éthiques associées à la pratique de la sédation en phase terminale, Elsevier Masson, janvier 2010.
[5] Pays-Bas : sédations inappropriées. Alliance VITA, 17 octobre 2013.
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