Article paru dans le Républicain Lorrain du 27 septembre 2014
Deux femmes courageuses…
Frédérique Maire et Aline Sinnig n’ont pas la même définition du mot « famille ». C’est le moins que l’on puisse dire. Leurs points de vue ont souvent été expliqués. Plus rarement confrontés. Bien sûr, leur rencontre dans nos locaux ne les a pas mises d’accord. Mais les voir s’écouter avec respect, s’interrompre sans agressivité, poursuivre pendant trois quarts d’heure le débat après sa fin et repartir par le même ascenseur, avait quelque chose de rassurant sur l’être humain. D’une part, sur ses capacités à échanger de manière constructive. D’autre part, sur le courage dont il est capable de faire preuve en acceptant sans hésiter de témoigner à visage découvert sur des questions révélant forcément une part d’intimité. Dans une société qui adore ranger les gens dans des cases, on imagine que cela n’a été facile pour aucune de ces deux militantes mosellanes. Rien que pour cela, bravo et merci mesdames!
Ph. M.
La plus haute juridiction a tranché. Mercredi, la Cour de cassation a rendu un avis favorable à l’adoption après PMA (Procréation médicalement assistée) pour les couples lesbiens mariés. La mesure vient légitimer une situation existante. Mais interpelle d’un point de vue éthique. Pour en débattre, nous avons réuni Frédérique Maire, responsable lorraine de l’association Les Enfants d’arc-en-ciel, qui défend les familles homoparentales et Aline Sinnig, déléguée mosellane d’Alliance Vita, association au service des plus fragiles suite aux lois bioéthiques. L’échange a été courtois mais ferme.
La Cour de cassation a rendu un jugement favorable à l’adoption, par l’épouse de la maman, d’un enfant né à l’étranger suite à une PMA (Procréation médicalement assistée avec donneur anonyme). Comment accueillez-vous cette décision ?
Frédérique MAIRE, responsable lorraine de l’association Les Enfants d’arc-en-ciel :
« Nous voilà enfin reconnues comme des familles ! L’accès au mariage nous a offert cette possibilité d’adoption. Mais les juges des tribunaux de grande instance ont refusé beaucoup de dossiers, estimant qu’avoir eu recours à la PMA à l’étranger était une fraude à la loi. L’attente était donc énorme. On va enfin pouvoir se protéger les uns les autres. Pour l’instant, la femme avec qui je vis depuis onze ans, avec qui j’ai concrétisé il y a trois ans le projet d’avoir un enfant et que j’ai épousée en mai dernier, n’a aucune responsabilité légale sur cet enfant. Si je viens à disparaître, il n’est rien, juridiquement, pour elle. L’adoption lui offre un cadre légal. Nous serons enfin traitées d’égale à égale par les institutions. »
Aline SINNIG, déléguée départementale d’Alliance Vita : « Pour moi, cette décision de justice inscrit un mensonge dans le droit français. La PMA est interdite dans notre pays dès qu’il ne s’agit pas de cas thérapeutiques. Aller à l’étranger fabriquer un enfant en le grevant d’office de la lignée paternelle n’est pas bon. Je ne nie pas le fait que deux femmes ou deux hommes soient parfaitement capables d’aimer et d’élever un enfant. Mais cela ne se résume pas à ça. Être issu de sa maman et de son papa biologiques est porteur de plein de choses. Cela donne des racines. Là, une moitié de la filiation est totalement zappée. L’enfant n’en aura jamais la connaissance et sera toujours lésé de ce point de vue. À un moment, cela lui manquera. Que lui expliquerez-vous quand il vous demandera d’où il vient et qui est son père ? »
Frédérique MAIRE : « On lui dira la vérité. Le problème de la lignée est similaire à ce que vit un couple hétérosexuel infertile ou un enfant adopté dans un orphelinat. Pas plus difficile. Après, mon épouse et moi lui donnons des racines. Vu le cheminement psychologique et médical qu’il nous faut pour l’avoir, il est tout sauf le fruit du hasard. »
Aline SINNIG : « Que deux femmes s’arrogent par désir le droit de fabriquer un enfant me dérange. En avoir un est très gratifiant, mais ce n’est pas un dû. La vie est un don. Ce n’est pas parce que la science sait faire, qu’il faut faire. Ceux qui n’ont pas eu de père ou de mère par accident de la vie sont en manque de quelque chose. On ne peut pas créer ces situations pour le besoin d’adultes. Pour se structurer, l’enfant doit s’appuyer sur l’image d’un homme. Ces enfants n’auront pas cette moitié-là. Ils sont lésés d’avance. »
Frédérique MAIRE : « Pourquoi ? Vous vous basez sur des préceptes anciens. Mon fils se construira comme un homme car on le traite en tant qu’homme et qu’il en côtoie au quotidien. Ma femme et moi lui apportons peut-être aussi des choses que d’autres ne sont pas en mesure de lui donner. Mon enfant n’a que trois ans mais j’ai le sentiment qu’il est équilibré et a bien compris qu’il avait deux mamans.
Aline SINNIG (Elle coupe) : « Deux mamans, cette appellation me gêne. Ce n’est pas la vérité. On n’a qu’une maman. Sa mère vit avec une autre dame, c’est tout. C’est ça qu’il ne faut pas inscrire en faux dans l’état civil. L’anthropologie nous impose de respecter certaines lois, sinon la société va se déliter. Il y a des projets auxquels on peut renoncer, notamment si cela doit porter préjudice à l’enfant. »
Frédérique MAIRE : « Ça, on ne peut pas le savoir ni faire de généralités à partir de cas particuliers. Je pense plutôt que la société s’adapte à la vraie vie, à la réalité. Elle en est obligée. C’est ce qu’elle fait depuis toujours, sinon, on n’aurait toujours pas le droit de vote. On demande juste à être reconnues. N’ayez pas peur pour la civilisation, elle continuera d’exister. »
Comment voyez-vous toutes les deux l’avenir sur cette question ?
Aline SINNIG : « Nous manifestons à Paris le 5 octobre pour appeler à la conscience des juges. Car nous ne voulons pas la dés- tructuration de la famille et que cette adoption devienne la norme. »
Frédérique MAIRE : « A titre personnel, mon épouse a lancé sa demande d’adoption. On aura alors atteint notre objectif de famille mais on continue le combat pour les autres. »
Propos recueillis par Philippe MARQUE.