Après plus d’une semaine du procès en assises du Dr Nicolas Bonnemaison, alors que la plupart des 70 témoins ont été entendus, les principaux enjeux éthiques paraissent se situer à trois niveaux différents : celui de la personnalité de l’accusé, celui de l’organisation médicale à l’hôpital, et celui des débats de société sur l’évolution de la loi fin de vie et l’euthanasie en France.
1) La première partie du procès a consisté à cerner la personnalité de cet urgentiste qui a fait toute sa carrière dans le même hôpital de Bayonne. Pour les uns, c’est un médecin passionné par son métier, compétent et dévoué, qui a tout fait « pour soulager les souffrances » des personnes en fin de vie qui arrivaient dans son service. Pour les autres, il apparaît comme un homme très fragilisé par le suicide de son père et celui de sa sœur, par des dépressions consécutives, par des difficultés conjugales, par un épuisement professionnel à force de tout vouloir prendre sur lui « pour épargner les familles et ses confrères » des douloureuses décisions à prendre. Les jurés auront à déterminer si sa volonté sincère d’épargner des souffrances ne s’est finalement pas transformée en une sorte de toute-puissance médicale qui a dérapé, au point de commettre ce que l’instruction pénale a considéré comme des empoisonnements.
2) Les auditions du personnel soignant et des familles des sept personnes décédées ont mis en lumière de nombreux enjeux éthiques au niveau médical, directement liés à la prise en charge des patients à l’hôpital. Pourquoi ces personnes âgées en fin de vie sont-elles arrivées dans le service du Dr Bonnemaison, service lié aux urgences et qui visiblement n’était pas conçu pour les accueillir dans de bonnes conditions ? L’ex-ministre des Personnes âgées, Michèle Delaunay, l’a exprimé avec force : « la majeure partie de ces fins de vie n’ont pas leur place dans les services d’urgence ». Pourquoi les protocoles de soins palliatifs sont-ils absents de ces parcours de fin de vie ? Pourquoi n’assure-t-on systématiquement la bonne prise en charge de la douleur physique, avec les techniques aujourd’hui très performantes que les médecins sont censés connaître ? Comment peut-on laisser un médecin seul apprécier si une souffrance psychique est insupportable ou non ? Pourquoi la « sédation en phase terminale » (technique pour endormir un patient en fin de vie dont on n’arrive pas à soulager la douleur, sans intention de donner la mort) se transforme-t-elle, chez certains médecins, en « sédation terminale » (le patient est endormi avec des doses telles qu’elles provoquent la mort) ?
3) Les avocats de la défense, voulant utiliser l’enceinte des assises comme tribune nationale, ont annoncé clairement dès le début : « ce sera le procès du Dr Bonnemaison, mais aussi le procès de la fin de vie« . Au-delà des témoignages pour apprécier la culpabilité ou non d’un homme, la parole a été largement donnée aux promoteurs de l’euthanasie qui ont fait le procès de la loi Leonetti de 2005. Il n’y a pas d’autre explication à l’audition de plusieurs dizaines de personnes non directement concernées par l’affaire, phénomène hors-norme dans le déroulement d’un procès criminel : des collègues locaux venus dire qu’ils faisaient « la même chose » que le Dr Bonnemaison, des médecins connus nationalement pour être de fervents partisans de l’euthanasie, des personnalités politiques (jusqu’à la présidente de l’ADMD en Belgique) ont été appelés à la barre pour expliquer que la législation actuelle était au mieux ambiguë, au pire détournée et violée au quotidien ; et donc qu’il était urgent de la changer pour pouvoir finir sa vie par une injection létale devenue légale. Plus rares ont été les experts auditionnés pour expliquer que la loi française donne les moyens d’éviter la souffrance sans tuer le patient.
Les échanges nombreux sur la nécessité d’une décision collégiale, et ceux sur le consentement des patients ou celui de leurs proches, sont à cet égard révélateurs : à certains moments, la question principale semblait être de vérifier si ce consentement a été donné ou non, s’il était « dans un regard » ou « une poignée de main ». Suffirait-il qu’un accord préalable soit donné pour que l’interdit du meurtre, fondement de notre vie en société, disparaisse de nos valeurs éthiques essentielles ?
Pour Jean Leonetti, l’auteur de la loi sur la fin de vie de 2005, l’urgentiste a pratiqué une médecine qui n’a plus cours, datant d’une époque où les soins palliatifs étaient rares, une médecine « ayant du mal à résister à sa toute puissance » et exercée de manière solitaire. Les jurés auront-ils la même analyse, après avoir entendu tous ces plaidoyers contradictoires ? Leur décision, au milieu de la semaine prochaine, sera certainement commentée et utilisée à des fins qui dépassent largement la responsabilité d’un médecin confronté à des fins de vie difficiles.