Euthanasie, directives anticipées, sédation : synthèse et analyse de VITA sur ces questions
A l’occasion de l’examen le 13 février 2014 de la PPL n° 182 relative au choix libre et éclairé d’une assistance médicalisée pour une fin de vie digne, Alliance VITA souhaite apporter une analyse de ce texte.
Cette proposition de loi part du postulat que si la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie a répondu à beaucoup d’interrogations et a permis d’indéniables avancées, elle serait mal appliquée par les professionnels. De plus elle ne suffirait pas à répondre à de nombreuses situations et il conviendrait de légaliser l’euthanasie, y compris lorsque le pronostic de fin de vie des patients n’est pas prévu à brève échéance.
- Le 5 février 2014, à l’occasion de la journée nationale de prévention du suicide, il a été rappelé que 27 personnes se donnent volontairement la mort chaque jour, faisant du suicide la 8ème cause de mortalité en France. La société tout entière est mobilisée contre le suicide et y consacre d’importants moyens financiers et humains. Légaliser le suicide assisté ou l’euthanasie sous une forme ou une autre, serait donc en complète contradiction avec les politiques que notre pays déploie depuis de longues années, au nom du respect de la dignité humaine et de la solidarité avec les personnes très fragilisées.
Cela constituerait aussi un contre-sens majeur pour tous ceux qui se dévouent à longueur d’année au service des personnes tentées par le suicide, depuis les jeunes adolescents jusqu’aux personnes âgées.
- En votant la loi fin de vie en 2005, la France a choisi d’écarter à la fois l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie, et de s’orienter vers la poursuite du développement des soins palliatifs. Rares sont les pays qui ont aujourd’hui légalisé l’euthanasie ou le suicide assisté.
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A titre d’exemple, la Belgique connaît de multiples dérives, constatées tant par le Comité Consultatif National d’Ethique (dans son avis n°121 du 1er juillet 2013 sur la fin de vie) que par de nombreux organismes privés :
- euthanasies médiatisées qui correspondent en fait à des suicides assistés ;
- persistance d’euthanasies clandestines : jusqu’à 42% en Wallonie, selon une étude de 2012 réalisée auprès de médecins belges) ;
- inefficacité et manque d’impartialité de la Commission fédérale de contrôle : depuis 2002, aucune euthanasie n’a fait l’objet de contestation auprès de la justice ;
- extension de l’euthanasie aux mineurs, sans limite d’âge : la loi sera vraisemblablement votée le 13 février 2014 à la Chambre.
De quoi parle-t-on ?
– L’acharnement thérapeutique consiste à administrer à un patient des traitements devenus inutiles ou disproportionnés.
– L’euthanasie consiste à provoquer intentionnellement la mort quel que soit le moyen utilisé: injection létale ou abstention délibérée de traitements indispensables à la vie. Pour le suicide assisté, l’intention est la même – provoquer la mort- mais c’est la personne elle-même qui accomplit le geste.
– Les soins palliatifs sont des soins actifs délivrés dans une approche globale de la personne atteinte d’une maladie grave, évolutive ou terminale, visant à soulager les douleurs physiques et les autres symptômes, mais aussi à prendre en compte la souffrance psychologique et sociale du patient et de ses proches.
Trop de Français croient encore que l’unique façon d’échapper à l’acharnement thérapeutique serait de pratiquer l’euthanasie.
Beaucoup ignorent la réalité des soins palliatifs qui permet d’éviter ces deux excès. Acharnement thérapeutique et euthanasie sont en effet des réponses qui, l’une et l’autre, portent atteinte au respect dû aux personnes malades ou en fin de vie.
Certains imaginent qu’on pourrait légaliser une euthanasie d’exception, « solidement encadrée ». C’est une illusion comme le révèle, avec quelques années de recul, ce qui se passe dans les rares pays étrangers qui l’ont mise en œuvre.
I – Les exemples étrangers montrent que la légalisation de l’euthanasie constitue une triple menace.
1) L’euthanasie brise la confiance entre soignants et soignés
Légaliser l’euthanasie instille un climat d’insécurité et de méfiance entre les personnels de santé, ceux qu’ils soignent et leurs proches. Supprimer l’interdit de tuer, c’est porter profondément atteinte à notre système de santé fondé sur la relation de confiance entre soignants et soignés. Cette confiance permet, sans suspicion, d’administrer les soins antidouleurs, de limiter ou d’arrêter des traitements disproportionnés ou inutiles.
Elle permet d’engager sereinement l’accompagnement médical, social et psychologique adapté à chaque personne dépendante ou malade, jusqu’au terme naturel de sa vie. C’est ce qu’offrent les soins palliatifs.
2) L’euthanasie pousse à l’exclusion des personnes les plus vulnérables
La légalisation de l’euthanasie a un impact social majeur, dépréciant l’image que les personnes fragiles et dépendantes ont d’elles-mêmes. Proposer l’euthanasie, en réponse à une grande souffrance physique ou psychique, incite les personnes malades à ne voir que la mort comme issue possible à leur épreuve. C’est oublier que les personnes en fin de vie peuvent être sujettes à un sentiment d’abandon lié à la défaillance de leur entourage ou à un état dépressif et que leur besoin prioritaire est l’accompagnement et l’attention. C’est dans ces moments que la solidarité sociale doit s’incarner.
La demande de mourir d’un malade, qui reste en réalité exceptionnelle, implique la société tout entière par la notion de dignité qu’elle renvoie : mourir dans la dignité signifie exactement le contraire de l’euthanasie et du suicide assisté. En provoquant la mort, la société cautionnerait l’idée qu’une personne a perdu sa dignité. Les autres patients dans le même état seraient-ils devenus indignes de vivre ?
3) L’euthanasie n’est pas compatible avec le développement des soins palliatifs
Notre société reconnaît le droit d’accéder aux soins palliatifs et de refuser l’acharnement thérapeutique (loi relative aux droits des malades de 2002 et loi relative à la fin de vie de 2005). Toute personne en fin de vie a donc le droit de bénéficier de soins « proportionnés ».
Les soins palliatifs permettent aujourd’hui de répondre à toutes les situations, y compris les plus douloureuses, et aux souffrances extrêmes des grands malades. Au contraire, l’euthanasie est une réponse brutale, en contradiction avec les immenses progrès accomplis pour améliorer la prise en charge de la fin de vie. La Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) exprime clairement l’incompatibilité entre ces soins et la pratique de l’euthanasie.
Le Conseil de l’Europe appelle les pays européens à développer leurs structures de soins palliatifs et à réfléchir sur l’élargissement de ce concept aux maladies chroniques non mortelles, souhaitant faire des soins palliatifs « un pilier essentiel du droit des patients ».
Avec un budget de 230 millions €, le plan de développement des soins palliatifs 2008-2012 prévoyait un doublement du nombre de patients pris en charge (passer de 100 000 à 200 000 personnes), et le renforcement de la formation des soignants pour mieux diffuser la culture palliative dans notre pays.
II – Autres questions soulevées par cette proposition de loi
1) Les directives anticipées
a. Définition des directives anticipées
Article L. 1111-11 du code de la santé publique. « Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées indiquent les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie concernant les conditions de la limitation ou l’arrêt de traitement. Elles sont révocables à tout moment. A condition qu’elles aient été établies moins de trois ans avant l’état d’inconscience de la personne, le médecin en tient compte pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement la concernant. »
b. Un très faible nombre de directives anticipées
Le rapport Sicard souligne que « les directives anticipées n’ont été rédigées que par un nombre infime de personnes en fin de vie » en se référant à l’étude de l’INED publiée en 2012 qui révèle que « seules 2,5% des personnes décédées en avaient rédigé ». Les raisons repérées par la mission Sicard sont diverses, allant du manque total de publicité à la volonté de certaines personnes de ne pas s’en saisir.
C’est ce que révèle une étude conduite à l’hôpital Cochin publiée en 2011 concernant des personnes âgées de plus de 75 ans : « 83% des personnes ne voulaient pas s’en saisir, 42% parce que c’était trop tôt, trop compliqué, ou déjà confié aux proches (en situation réelle leurs directives anticipées seraient différentes), 36% car ils percevaient les directives anticipées comme inutiles voire dangereuses, et 22% refusaient d’anticiper ou de parler de ce sujet. »
A noter que dans un certain nombre de cas, ces directives sont l’aboutissement d’une démarche militante qu’il convient d’interroger pour que ces dispositions ne s’inscrivent pas dans une rupture de confiance entre soignants et soignés mais, au contraire, soient un instrument pour renforcer cette confiance.
Le rapport relève : « En revanche, il semble évident que ces directives apparaissent comme essentielles quand, dans une famille, une personne est touchée par une maladie particulièrement grave et que l’entourage découvre alors la non prise en compte de ces directives. »
c. La complexité de l’établissement de directives anticipées
L’article L.1111-4 du code de la santé publique explicite le sens de la relation de soins : « Toute personne prend avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé ».
Le rapport Sicard décrit avec pertinence la complexité des directives anticipées, tout en cherchant à concilier le respect de la volonté des patients : « la question reste toujours plus complexe qu’elle ne le semble. Souvent, quelques malades souhaitent, à juste titre, au moment même de l’accident ou au cours d’une maladie grave, que leurs directives anticipées soient oubliées ou méconnues. En effet, des sursauts de volonté de vivre peuvent toujours se substituer à un renoncement anticipé.
De la même façon, les médecins souhaitent garder la liberté de leur jugement et il est vrai que dans certains cas rares, un traitement simple peut venir à bout rapidement d’une situation jugée particulièrement désespérée par le malade lui-même. »
Les auteurs du rapport aboutissent à cette conclusion : « Les directives anticipées ne résolvent donc pas la maitrise du choix, elles en sont un élément important et il semblerait nécessaire de leur conférer un pouvoir contraignant plus fort et facilement disponible. »
Dans cette perspective, ils préconisent la possibilité d’élaborer un document plus précis et plus contraignant dans certaines situations : « En cas de maladie grave diagnostiquée, ou en cas d’intervention chirurgicale pouvant comporter un risque majeur, un autre document de volontés concernant spécifiquement les traitements de fin de vie, devrait être proposé en sus du premier, notamment dans le cadre d’un dialogue avec l’équipe médicale et soignante. »
C’est cette capacité de dialogue qui pourrait être plus clairement instituée, alliant la mission des soignants (qui ne sont pas des simples prestataires de service mais dont la mission est orientée vers le soin et le soulagement des patients) et la capacité des personnes à maîtriser leur vie.
2) La sédation
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a. Définition de la sédation
La sédation consiste en « la recherche, par des moyens médicamenteux, d’une diminution de la vigilance pouvant aller jusqu’à la perte de conscience, dans le but de diminuer ou de faire disparaître la perception d’une situation vécue comme insupportable par le patient, alors que tous les moyens disponibles et adaptés à cette situation ont pu lui être proposés et mis en oeuvre sans permettre d’obtenir le soulagement escompté par le patient ».
La sédation peut être appliquée de façon intermittente, transitoire ou continue.
Comme pour tout traitement, la loi actuelle précise que le consentement et/ou les directives anticipées du patient doivent être recherchés ou, s’il est hors d’état de s’exprimer, que la personne de confiance ou à défaut les proches doivent être consultés.
b. Des situations exceptionnelles
«Les situations dans lesquelles la question d’une sédation se pose sont exceptionnelles, singulières et complexes. Elles sont d’autant plus rares que l’évaluation et le traitement des symptômes ont été mis en place de façon rigoureuse et précoce. Dans la pratique, deux catégories de situation se distinguent:
– les situations à risque vital immédiat en phase terminale ;
– les symptômes réfractaires en phase terminale ou palliative.
Dans les situations à risque vital immédiat, la sédation a pour but de soulager la personne malade de la pénibilité et l’effroi générés par ces situations. En phase terminale, la sédation est alors un geste d’urgence pouvant influer sur le moment de la mort (précipiter ou retarder). Le médecin prescripteur assume la responsabilité de cette décision avec la part d’incertitude qu’elle comporte. Dans la mesure du possible, la prescription de la sédation doit être une prescription anticipée. » Recommandations de la Haute Autorité de Santé 2009.
c. Les questions éthiques spécifiques liées à la sédation en phase terminale
L’altération du processus cognitif
La question se pose de priver une personne de sa conscience et de toute communication, la rendant dépendante dans un état de grande vulnérabilité. C’est pourquoi ce soin de soulagement doit être réservé à des situations exceptionnelles, en suivant les recommandations émises en 2009 par la Haute Autorité de la Santé.
Le risque euthanasique
Dans l’article[1] «Questions éthiques associées à la pratique de la sédation en phase terminale», Jean-Claude Fondras et Suzanne Rameix analysent la frontière entre sédation et euthanasie.
« Comment juger si une sédation profonde, continue jusqu’au décès, est sédative ou euthanasique ? Les critères le plus souvent retenus pour la validité éthique d’une décision de sédation sont l’intention du prescripteur, le respect de l’autonomie du patient et le principe de proportionnalité. L’intention d’une personne étant partiellement inaccessible aux autres et, parfois, à la personne elle-même, la valeur morale de la décision est plus facilement mise en évidence par l’examen de l’action et de son contexte que par les explications avancées.
De fait, un traitement sédatif, titré, réversible est matériellement et objectivement discernable d’une injection volontairement létale : dans ce cas, nul besoin d’analyser les intentions puisque les données factuelles suffisent à différencier les actes.
Il n’en reste pas moins que, devant des effets secondaires problématiques (« abréger la vie » du patient ou porter atteinte à son autonomie), la détermination de la véritable intention —au sens de l’objectif fixé par le prescripteur— et de sa légitimité reste un point crucial. »
Les auteurs précisent que la sédation profonde et continue constitue une décision particulièrement lourde qui appelle à la réserver aux malades qui présentent un pronostic vital de courte durée, de quelques heures à quelques jours.
Nos préconisations
• Refuser la légalisation de l’euthanasie
L’interdit de tuer doit rester l’élément fondateur de notre pacte social : les dérives constatées à l’étranger sont de puissantes alertes pour que nous restions fermes sur ce principe essentiel.
• Appliquer pleinement la loi « fin de vie » de 2005
Cette loi clarifie en particulier le refus de l’acharnement thérapeutique, en visant davantage la recherche de la qualité de vie que la survie.
• Développer vraiment les soins palliatifs
Tel était l’engagement pris lors du vote de la loi du 22 avril 2005 relative à la fin de vie. En juin 2008, un plan national en faveur des soins palliatifs a été lancé pour la période 2008 – 2012. Il est urgent d’accroître les moyens et de la mettre en œuvre sur l’ensemble du territoire national.
• Combattre la solitude et l’euthanasie sociale des personnes âgées par la solidarité intergénérationnelle.
L’épisode de la canicule en 2003 a éveillé l’opinion sur la solitude des personnes âgées et a permis de mettre en évidence que la dynamique du lien social, l’intégration dans la ville et le quartier, dans les réseaux sociaux, qu’ils soient familiaux ou amicaux, sont des composantes essentielles du bien vieillir et de la prévention de la perte d’autonomie.
En savoir plus sur la fin de vie et la dépendance.