Faut-il autoriser la recherche sur l’embryon humain ?

15/03/2013

La proposition de loi n° 473 tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, adoptée en première lecture par le Sénat, est inscrite à l’ordre du jour de la séance publique de l’Assemblée nationale du 28 mars 2013. Elle est examinée par la Commission des affaires sociales le 20 mars.

En plus de la levée de l’interdiction de la recherche, plusieurs dispositions proposées réduiraient ou supprimeraient des règles qui visent à garantir la pertinence de ces recherches : par exemple, les autorisations données par l’Agence de la Biomédecine (ABM) n’auraient plus besoin d’être motivées, et les ministres chargés de la santé et de la recherche n’auraient plus un droit de regard sur ces autorisations.

Les enjeux de cette recherche sont liés aux stocks d’embryons congelés progressivement constitués à la suite de cycles de Fécondation in vitro (FIV) depuis 1994, ces embryons surnuméraires suscitant la convoitise des chercheurs. Pour bien saisir ces enjeux, un rappel de la législation actuelle s’impose (I), ainsi qu’une mise en perspective avec les recherches alternatives à partir de cellules non embryonnaires, qui ont donné ces dernières années des résultats encourageants (II). Ces données factuelles établies, il convient de mettre en lumière les principales questions éthiques posées par la recherche sur l’embryon (III), alors même que celle-ci est de plus en plus contestée au niveau européen (IV).

I – La législation actuelle en France

– La loi du 6 août 2004 a autorisé le don d’embryons congelés surnuméraires pour la recherche, avec l’assentiment des parents. Auparavant, les parents avaient seulement la possibilité de les transférer dans l’utérus maternel, de demander leur destruction ou de les donner à un autre couple. En contradiction avec le principe d’interdiction de recherche sur les embryons posé depuis les premières lois bioéthiques de 1994, une dérogation a été introduite dans cette loi pour une période de 5 ans, pour des recherches à visée thérapeutique et sans recherche alternative possible d’efficacité comparable.

– La loi du 7 juillet 2011 a maintenu le principe d’interdiction de recherche sur l’embryon avec cependant l’élargissement des dérogations : sans limite de temps et dans un cadre plus large de recherche à visée « médicale », qui remplace la notion de « progrès thérapeutique majeur ». L’article 41 précise ainsi les nouvelles conditions :

L’article L.2151-5 est ainsi rédigé :

I.- La recherche sur l’embryon humain, les cellules souches embryonnaires et les lignées de  cellules souches est interdite.

II. – Par dérogation au I, la recherche est autorisée si les conditions suivantes sont réunies :

1° La pertinence scientifique du projet de recherche est établie ;

2° La recherche est susceptible de permettre des progrès médicaux majeurs ;

3° Il est expressément établi qu’il est impossible de parvenir au résultat escompté par le biais d’une recherche ne recourant pas à des embryons humains, des cellules souches embryonnaires ou des lignées de cellules souches ;

4° Le projet de recherche et les conditions de mise en œuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

Les recherches alternatives à celles sur l’embryon humain et conformes à l’éthique doivent être  favorisées.

– Une clause de conscience est reconnue à tout « chercheur, ingénieur, technicien ou auxiliaire de recherche, médecin ou auxiliaire médical » qui ne souhaite pas faire de recherche sur les embryons ou les cellules souches embryonnaires (article 53).

– La loi prévoit également un encadrement pour le recueil des cellules souches issues de sang de cordon ombilical, pour inciter à son développement. Le choix retenu par la France est celui du recueil par des banques publiques allogéniques, c’est-à-dire pour une utilisation indifférenciée par les patients qui en ont besoin, sachant que le patient doit avoir une compatibilité immunitaire avec le donneur (article 19).

– Dans un délai d’un an à compter de la publication de la loi, soit avant le 8 juillet 2012, le gouvernement devait remettre un rapport au Parlement sur les pistes de financement, notamment public, et de promotion de la recherche en France sur les cellules souches adultes et issues du cordon ombilical ainsi que sur les cellules souches pluripotentes induites (article 44).

– Chaque année, l’Agence de la Biomédecine doit par ailleurs établir un rapport d’activité, rendu public, qu’elle adresse au Parlement, au Gouvernement et au Comité consultatif national d’éthique (CCNE) pour les sciences de la vie et de la santé. Ce rapport doit notamment comporter une « évaluation de l’état d’avancement des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, incluant un comparatif avec les recherches concernant les cellules souches adultes, les cellules pluripotentes induites et les cellules issues du sang de cordon, du cordon ombilical et du placenta, ainsi qu’un comparatif avec la recherche internationale » (article 50).

– Enfin, toute réforme de cette loi doit être précédée d’un large débat public sous forme d’états généraux. L’article 46 stipule en effet : Le code de la santé publique est ainsi modifié : 1° Après l’article L. 1412-1, il est inséré un article L. 1412-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1412-1-1. − Tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux. Ceux-ci sont organisés à l’initiative du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, après consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

A la suite du débat public, le comité établit un rapport qu’il présente devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui procède à son évaluation » (…).

chiffres recherche bioethique

II – Les recherches alternatives à la recherche sur l’embryon

Les cellules souches adultes et, parmi elles, les cellules issues de sang de cordon et placentaire

Le Rapport de la mission d’information parlementaire de révision des lois de bioéthique (20 janvier 2010) fait état des thérapies existantes à partir des cellules de sang de cordon ombilical : « Certaines cellules souches adultes ont prouvé depuis plus de trente ans leur potentiel thérapeutique. Ainsi, les thérapies recourant aux cellules souches hématopoïétiques issues de la moelle osseuse ou du sang périphérique bénéficient à plus de 3 000 malades par an traités pour des hémopathies malignes, pour des tumeurs solides ou pour contrer les effets de chimiothérapies sur la moelle osseuse. Depuis les essais cliniques du docteur Éliane Gluckman, en 1989, on sait utiliser les cellules du sang placentaire. (…) Le prélèvement de ces cellules ne présente pas de difficultés techniques. (…) D’autres indications de thérapies à partir de cellules souches issues du sang placentaire sont envisageables selon le docteur Gluckman. (…) Le laboratoire de recherche du centre de transfusion sanguine des armées de Percy travaille sur les cellules souches mésenchymateuses afin d’améliorer la production en culture d’épiderme pour les grands brûlés ».

La reprogrammation des cellules souches humaines adultes

La découverte des techniques de reprogrammation des cellules somatiques (cellules iPS – découvertes en 2007) a réorienté la recherche, bien que posant encore des problèmes à résoudre. Cette voie est reconnue comme prometteuse par la communauté scientifique : le prix Nobel de médecine  a été attribué à l’automne 2012 au biologiste britannique John Gurdon et au médecin et chercheur japonais Shinya Yamanaka, pour leurs recherches sur la reprogrammation nucléaire. Le premier essai clinique utilisant des cellules reprogrammées pour traiter une maladie de l’œil, la dégénérescence maculaire liée à l’âge qui affecte la vision de près de 30 % des plus de 55 ans dans le monde, est prévu pour la fin de l’année 2013 au Japon par l’équipe de Yamanaka.

Les recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires n’ont donné quant à elles aucun résultat probant à ce jour, ni en France, ni dans les autres pays qui y recourent, en particulier les Etats Unis.

 

III – Les principales questions éthiques posées par la recherche sur l’embryon

La destruction des embryons

L’utilisation des embryons pour la recherche conduit à leur destruction. En effet, pour obtenir des cellules souches embryonnaires, les embryons sont disloqués et mis dans un milieu de culture synthétique.

Des conflits d’intérêt

La « course aux annonces » cache des conflits d’intérêt majeurs au sein de la communauté scientifique. Cette précipitation ne respecte pas les malades, qui vivent souvent des situations dramatiques, en faisant naître chez eux de faux espoirs à court terme.

A titre d’exemple, par son annonce de juillet 2010, la firme de biotechnologie Geron Corporation semblait faire espérer une thérapie aux personnes paralysées à la suite d’une lésion de la moelle épinière, traduite par certains comme le premier traitement à base de cellules souches embryonnaires humaines. Or, il ne s’agissait en réalité que d’un essai clinique sur moins de 10 personnes pour évaluer la tolérance du patient à des cellules dérivées de cellules souches embryonnaires. Le 15 novembre 2011, Geron a annoncé qu’elle avait mis fin à cet essai clinique en raison de son coût, préférant se concentrer sur d’autres programmes de recherche plus prometteurs. Le même type de publicité a été fait ensuite en novembre 2010 par la société Advanced Cell Technologie, pour un essai clinique concernant une pathologie oculaire.

L’embryon humain comme cobaye « gratuit »

– Un des intérêts mis en avant est de pouvoir tester de nouveaux médicaments (criblage pharmaceutique) ou réaliser des recherches sans passer par les tests sur les animaux qui, eux, sont onéreux et nécessitent une formation et des installations spécifiques. Ainsi, par exemple, des embryons écartés lors de DPI (diagnostic pré-implantatoire), parce que porteurs de gènes de maladies héréditaires, sont actuellement objets de recherche.

Depuis le 1er février 2013, les contraintes de la recherche sur animal ont été renforcées avec la transposition en droit interne de la Directive 2010-63-UE. Le décret n° 2013-118 du 1er février 2013 protège les animaux y compris avant leur naissance, jusqu’à un stade très précoce, pour leur éviter « d’éprouver de la douleur, de la souffrance ou de l’angoisse ou de subir des dommages durables ». Il insiste sur le remplacement par « d’autres méthodes expérimentales », chaque fois que possible, pour diminuer le nombre d’animaux concernés.

Comme les exigences éthiques et matérielles de la recherche sur l’animal sont de plus en plus grandes, la tentation est réelle de se reporter sur l’embryon humain, car sa protection fait l’objet d’une réglementation beaucoup moins précise et contraignante.

Dans ce nouveau contexte, la proposition de loi que l’Assemblée nationale va examiner le 28 mars 2013 accentue ce risque. Elle transforme notamment l’objectif de permettre des « progrès médicaux majeurs » en une simple référence à une « finalité médicale ». Elle supprime une exigence inscrite dans la loi de bioéthique de 2011, qui précise que « les recherches alternatives à celles sur l’embryon humain et conformes à l’éthique doivent être favorisées ».

 

IV – La recherche sur l’embryon contestée au niveau européen

– La Convention européenne sur les droits de l’homme et la biomédecine, dite Convention d’Oviedo, a été ratifiée par la France le 13 décembre 2011 (application au 1er avril 2012). Cette convention du Conseil de l’Europe, adoptée en 1997, définit un certain nombre de règles éthiques fondées sur le respect de la personne humaine, la non-commercialisation du corps humain et le consentement éclairé des patients. L’article 18 concerne spécifiquement la recherche sur les embryons in vitro, insistant sur la « protection adéquate » dont ils doivent bénéficier.

– Un jugement de la Cour européenne de justice du 18 octobre 2011, qui est contraignant à l’égard des 27 Etats-membres, bannit la brevetabilité des technologies de recherche qui s’appuient sur les cellules souches, elles-mêmes obtenues au moyen de la destruction d’embryons humains.

La Cour européenne de justice a reconnu la nullité du brevet du professeur allemand Brüstle, car elle a estimé que la destruction d’un embryon humain nécessaire dans le processus de production des cellules précurseurs neurales, pour lesquelles il avait déposé ce brevet, ne respectait pas la dignité humaine de cet embryon. Son objectif, le traitement hypothétique de maladies neurodégénératives, n’a pas justifié aux yeux de la Cour de porter atteinte à la dignité de l’être humain en mettant fin à sa vie. Les seules techniques brevetables, et qui donc pourraient faire l’objet d’une utilisation commerciale, seraient les techniques qui viseraient à soigner l’embryon humain.

La Cour a donné de l’embryon une définition large et claire : «  Tout ovule humain doit, dès le stade de sa fécondation, être considéré comme un embryon humain dès lors que cette fécondation est de nature à déclencher le processus de développement d’un être humain ». Constitue donc aussi un embryon humain «  tout ovule humain non fécondé dans lequel le noyau d’une cellule humaine mature a été implanté, et tout ovule humain non fécondé induit à se diviser et à se développer par voie de parthénogénèse ». Autrement dit, même produit de façon artificielle, un être humain reste un être humain, dès le début de la conception.

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