L’euthanasie en Belgique : des dérives croissantes
19/02/2013

L’euthanasie en Belgique : des dérives croissantes

 

Depuis le vote de la loi dépénalisant l’euthanasie en Belgique en 2002, deux évolutions majeures peuvent être soulignées :

  • l’augmentation constante du nombre d’euthanasies pratiquées officiellement, avec un doublement du total tous les 4 ans.
  • la volonté continuelle du lobby de l’euthanasie d’élargir les cas possibles, comme aux Pays-Bas : les mineurs, les personnes âgées de plus de 70 ans, les personnes considérées comme “démentes” (par exemple en cas de maladie d’Alzheimer), les adultes dépressifs (personnes anorexiques, handicapées, en prison…).

 

1. La législation actuelle

La loi qui a dépénalisé la pratique de l’euthanasie sous certaines conditions a été votée le 28 mai 2002. Le texte protège le médecin qui « met intentionnellement fin à la vie d’une personne à la demande de celle-ci », à condition qu’elle soit dans « une situation médicale sans issue et un état de souffrance physique ou psychique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui résulte d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable».

Le médecin doit consulter un second praticien qui vérifie que ces conditions sont remplies, dans certains cas un troisième médecin, psychiatre ou spécialiste de la pathologie concernée.

Une commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, composée de 16 membres, est chargée de vérifier à postériori la conformité de tous les actes d’euthanasie pratiqués en Belgique. Si elle estime que les conditions n’ont pas été respectées, elle doit saisir la justice. Elle transmet tous les deux ans un rapport au Parlement. Des « kits euthanasie » sont vendus en pharmacie aux médecins.

 

2. Bilan quantitatif

Le nombre d’euthanasies officiellement recensées en Belgique double quasiment tous les quatre ans : il est passé de 349 en 2004 à 704 en 2008, et à 1432 en 2012. Entre la première année complète d’application (235 cas en 2003) à 2012, le total a été multiplié par six.

Une étude[1. Legal Euthanasia in Belgium: Characteristics of All Reported Euthanasia Cases – Smets, Tinne MA*; Bilsen, Johan PhD*; Cohen, Joachim PhD*; Rurup, Mette L. PhD†; Deliens, Luc PhD*† Février 2010 ] a récemment été menée par le professeur Luc Deliens, de l’Université libre flamande de Bruxelles : selon cette enquête portant sur 1917 cas, la majorité des personnes euthanasiées sont plutôt jeunes (seulement 18% de personnes âgées de plus de 80 ans), atteints de cancer en phase terminale (93,4%) et ne supportant plus la douleur physique, selon les déclarations qu’elles ont faites à leur médecin.

Les hommes sont un peu plus nombreux que les femmes. L’euthanasie est plus couramment pratiquée en Flandres (83%) qu’en Wallonie (17%) : des chiffres étonnants qui, pour les chercheurs, peuvent s’expliquer par des « différences de pratiques médicales ».

La Commission de contrôle et d’évaluation a examiné plus de 2000 déclarations depuis sa création. Aucune déclaration n’a fait l’objet d’un signalement au procureur.

 

3. Les dérives constatées

 

A) Des euthanasies sur des personnes ne remplissant pas les conditions

Dès 2007, plusieurs cas d’euthanasie de patients souffrant de dépression majeure irréductible ont été dénoncés par une association travaillant dans ce domaine (« Netwerk Depressie Vlaanderen »), qui rappelle que la dépression ne peut être considérée comme une maladie incurable.

Plusieurs cas litigieux ont été médiatisés en Belgique, et dans au moins un cas (cf L’Express du 24 avril 2008), la justice s’est autosaisie du dossier et a nommé un juge d’instruction. Deux ans après les faits, les enquêteurs ont décidé de ne pas poursuivre.

Une étude publiée en 2009 dans la revue American Journal of Critical Care révèle que des médecins et des infirmières ont eu recours à l’euthanasie pour 25 enfants, alors que cette pratique est interdite pour les mineurs.

 

B) De nombreuses euthanasies clandestines ou réalisées sans consentement du malade”

Les auteurs d’une étude parue en septembre 2010 sur les pratiques de fin de vie au regard de la loi sur l’euthanasie ont constaté que beaucoup de cas d’euthanasie[2. « Medical End-of-life Practices under Euthanasia Law in Belgium » (The New England Journal of Medecine, September 10). En 2007, les auteurs ont mené une étude de suivi de deux vastes enquêtes sur les pratiques de fin de vie médicalisée réalisées en 1998 et 2001. 58,4 % des médecins sondés ont répondu au questionnaire qui leur a été adressé. ] ne sont pas rapportés aux autorités, et même que le consentement du patient n’a pas été obtenu dans un très grand nombre de cas.

En effet, selon cette enquête, sur les 54.881 morts recensées en Flandres en 2007, 1042 décès (1,9%, contre seulement 0,3% en 2001) seraient survenues à la suite d’une euthanasie pratiquée sur demande. Cette même année 2007, seulement 495 euthanasies ont été déclarées à la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’application de la loi sur l’euthanasie, dont 412 l’ont été en néerlandais et 83 en français (cf. Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, Troisième rapport aux Chambres législatives, années 2006 et 2007, p. 11).

 

C) Une mauvaise maitrise des soins palliatifs”

Pour le docteur Bernard Devalois[3.« De plus en plus d’euthanasies en Belgique », article paru dans la revue La Vie, 15 mars 2010], spécialiste français des soins palliatifs, l’étude citée plus haut menée par le professeur Luc Deliens, de l’Université libre flamande de Bruxelles ” démontre que la majorité des demandes d’euthanasie en Belgique sont liées à des douleurs physiques insupportables et donc à des mauvaises pratiques médicales dans le traitement de la douleur, car les souffrances vraiment réfractaires – que nous traitons en France en endormant le malade – restent très rares”.

Une analyse corroborée par le fait que la grande majorité des euthanasies belges ont lieu au domicile du patient. “On peut penser qu’elles sont effectuées par des généralistes démunis car mal formés au maniement des techniques antalgiques complexes”, constate le médecin français.

Pour le docteur Devalois, “à la lecture de cette étude, la Belgique semble choisir de privilégier la formation de ses généralistes au maniement de produits provoquant une mort rapide du patient (barbituriques et curares). Le malade n’a donc que le choix entre souffrir ou demander l’euthanasie. Je préfère nettement qu’on lui offre un troisième choix : être soulagé de sa douleur ! C’est la voie qu’a choisie la France à travers les plans Douleur et Soins Palliatifs“.

 

D) Un manque de respect et de contrôle des procédures

Une autre importante étude d’évaluation[4. « Euthanasia Policy and Practice in Belgium : Critical Observations and Suggestions for Improvement », revue Issues in Law and Medicine (volume 24, number 3, 2009, p. 187-218)] a été menée en 2009 par le professeur Raphaël Cohen-Almagor, de l’Université de Hull (Royaume-Uni). Cette étude met en lumière plusieurs difficultés sérieuses. A titre d’exemple, concernant la nécessité légale de l’avis d’un second praticien, des cas sont signalés où le médecin consulté rend son avis par téléphone et n’examine pas la personne malade. Ces médecins feraient naturellement appel à des confrères, souvent les mêmes, connus pour leur ouverture à la pratique de l’euthanasie.

 

E) Une « fuite en avant », avec l’élargissement de la loi à de nouvelles catégories de personnes

Plusieurs  propositions de loi sont en cours d’examen. En octobre 2010, une proposition de loi sur l’accès à l’euthanasie des mineurs a été déposée devant la Chambre des représentants , pour aligner la législation belge sur celle des Pays Bas qui autorise déjà l’euthanasie pour les enfants âgés de 12 à 17 ans.

Une autre proposition de loi a été déposée le même mois pour autoriser l’euthanasie de personnes considérées comme “démentes” ou plongées dans un état d’inconscience.  Début mai 2012, des textes similaires ont été déposés au Sénat, à l’occasion du 10ème anniversaire de la loi de légalisation. Une des propositions de loi vise également à réduire l’objection de conscience des médecins. A partir de février 2013, des dizaines de spécialistes seront auditionnés, avant de soumettre ces textes au vote des parlementaires.

Les cas particuliers se multiplient. En janvier 2013, la presse se faisait l’écho d’euthanasies récentes  de personnes qui se semblaient pas à priori rentrer dans les conditions d’application de la loi : deux frères jumeaux, âgés de 45 ans et sourds de naissance, ont été euthanasiés en invoquant des souffrances psychiques liées à la perspective de devenir progressivement aveugles ; une femme   de 44 ans, souffrant d’anorexie, a été euthanasiée en raison de sa souffrance psychiatrique ; dans les prisons, cinq demandes d’euthanasie sont à l’étude, après qu’un détenu ait été euthanasié en 2012 à sa demande.

Le don d’organes est officiellement autorisé en Belgique à l’occasion d’une euthanasie. Des pressions semblent s’exercer de la part des organismes de transplantation, car il n’y a pas assez de donneurs au regard des demandes. 9 patients ont déjà accepté cette procédure depuis 2005.

Janvier 2011, mis à jour en février 2013

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