Le débat sur le mariage avec adoption pour les personnes de même sexe dérive souvent sur les incompétences “des autres” en matière d’éducation. Reviennent périodiquement les arguments suivants : “Il vaut mieux pour un enfant être élevé par deux personnes de même sexe qui s’aiment que par un couple homme-femme qui se déchire ; un célibataire peut adopter, il n’est pas considéré comme un mauvais parent*, alors pourquoi pas deux personnes de même sexe ; certains couples ne méritent pas d’avoir des enfants car ils s’en occupent mal.”
Il faudrait comparer ce qui est comparable : un couple qui se déchire puis divorce vaut bien deux personnes homosexuelles en procès pour l’adoption et la garde d’un enfant après séparation. Ne soyons pas faussement naïfs, la vie commune des personnes homosexuelles n’est pas exempte de difficultés qui ont des conséquences sur la durée et la stabilité de leurs couples. Dans les conflits des adultes, celui qui paie le prix fort est toujours l’enfant.
Enfin, les procès d’intention ne sont pas des arguments. La vie réserve des surprises, et des personnes qui ne s’y attendent pas peuvent se retrouver père ou mère de substitution (un oncle, une sœur, des grands parents, un beau-parent, un tuteur désigné…) pour le meilleur ou le pire. De fait, le législateur a déjà prévu le pire et les procédures de protection de l’enfant existent.
Dans le projet de loi, ce qui est en jeu n’est pas la capacité à élever un enfant, mais la nature de la relation familiale, la posture de parent.
La posture d’un éducateur est liée à son statut.
L’enfant a besoin de savoir qui est la personne qui s’occupe de lui et pourquoi. Les enseignants, le personnel éducatif doivent trouver la juste proximité et la saine distance avec chaque élève dont ils ont la charge. La question est plus délicate encore pour les beaux-parents dans les familles qui restent décomposées aux yeux des enfants : comment prendre sa juste place avec une attitude aimante, avec une incontournable autorité, mais discrétion pour laisser la place aux parents. On sait maintenant que les parents adoptifs ne doivent pas mentir sur l’histoire personnelle de l’enfant accueilli. À propos de la juste posture des parents “traditionnels”** envers leurs enfants, la bibliographie est abondante ! Et la meilleure relation est toujours établie sur les bases de la vérité.
Aussi est-il légitime de se demander qu’elle peut être la posture juste pour le “parent 2”, le co-père ou la co-mère. La difficulté surgit dès que l’on se demande comment l’enfant appellera ses “parents” : par le même mot ? Par les prénoms avec abandon de toute référence à la maternité et à la paternité ? Avec des petits noms inventés qui n’auront aucune portée symbolique universelle ?
Cette question de la posture est d’autant plus pertinente dans le cadre d’une légalisation du « mariage pour tous » : la République affirmera à l’enfant qu’il est le fruit légitime de deux hommes ou de deux femmes. Et parallèlement, l’école de la République lui enseignera dès la maternelle qu’il est venu au monde par la rencontre d’un ovule féminin et d’un spermatozoïde masculin. Quelles seront les conséquences de ces révélations contradictoires ? Comment parler vrai à l’enfant ? Quelle sera la place faite au(x) parent(s) biologique(s) ? Questions cruciales quand on sait que l’enfant a besoin de connaitre son origine biologique pour se structurer.
Une tentation de notre temps est de favoriser les droits de l’adulte tout-puissant, au détriment du plus faible, l’enfant. Une autre tentation, dialectique, est d’opposer l’hétérosexuel nanti de droits à l’homosexuel démuni. C’est une manipulation car, juridiquement, l’hétérosexuel n’est pas sujet de droit comme l’explique Sylviane Agacinski. Cependant, pour cette philosophe, l’égalité du droit à l’adoption est un absolu ; elle propose donc un statut de beau-parent, qui fait de l’enfant une personne que l’on “possède”. Or, pour l’instant encore, le mariage civil reconnaît et protège la famille parce qu’elle est vérité de relation : père, mère, fratrie. Ces relations ne sont pas construites par la loi, au contraire, la loi par l’institution du mariage reconnaît ces relations comme fondatrices de la société. Avec le “mariage pour tous” la loi ne sera plus au service de la famille, mais elle “fera” la famille, comme l’explique si bien notre ministre madame Bertinotti dans un entretien accordé au magazine Têtu du 29 août 2012. La famille ne sera plus relation, mais relative. Bref, elle n’existera plus, au profit de communautés de personnes. Les enfants comme les adultes auront du mal à s’y retrouver…
Heureusement, on peut imaginer, avec un brin d’ironie, que la solution égalitaire existera bientôt grâce aux progrès de la PMA et la mise au point de la super-couveuse. Les couples ne se reproduiront plus naturellement. Leurs gamètes prélevés seront anonymes et triés. Pour tous, la même origine : le fond d’un tube à essai. Les enfants ne diront plus jamais papa ou maman. On a déjà lu ça quelque part : une société parfaite, le meilleur des mondes.
* L’adoption par les célibataires a été admise après la guerre, en raison du grand nombre d’orphelins. Depuis, le contexte social a changé, ce principe peut être remis en question dans l’intérêt des jeunes enfants adoptables.
* * Si la loi est votée, le sens des mots sera radicalement transformé ; cette évolution du langage ni naturelle ni spontanée sera nécessaire, donc autoritaire.
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