Magnifique service rendu à Tamara, la maman, alors âgée de 24 ans ? Elle témoigne aujourd’hui : « Je suis heureuse avec mon fils ! ».
À l’époque, elle n’avait rien dit à sa famille de cette grossesse interrompue. Mais quand elle a cru se retrouver enceinte à nouveau, trois mois plus tard, la nouvelle échographie fut formelle : c’était bien la même grossesse. Nul n’évoque l’hypothèse d’un jumeau qui aurait survécu…
En théorie, en Espagne, on n’avorte plus à six mois d’un enfant en bonne santé. La clinique majorquine a alors remboursé le coût de l’avortement raté (400 euros) — en échange d’une lettre de décharge — tout en proposant à la jeune femme un arrangement : à Barcelone, on prodigue des avortements tardifs sans trop y regarder… Au point où elle en était, Tamara a eu le courage de dire non, et d’aller jusqu’au bout. A moins qu’elle n’ait pas eu celui d’avorter encore. Une fois son fils né, l’« heureuse » maman a estimé que ce ratage lui donnait droit à réparation. En première instance, la justice vient de lui donner raison : 150 000 euros au titre de préjudice moral, dédommagement de cette vie qu’elle n’imaginait pas pouvoir accueillir.
Motif invoqué par l’avocat pour indemniser la mère : l’erreur du médecin a « altéré irréversiblement sa vie ». Prononcé quelques jours avant la fête des mères, le verdict devrait-il culpabiliser nombre d’enfants d’exister ? Soyons honnête : pour arguer d’un tel préjudice, l’avocat a aussi fait part de l’angoisse de Tamara à propos de la santé de son fœtus qui avait résisté à la technique de l’aspiration… Mais ce dernier n’est pas en reste puisque son sauveur — involontaire — se voit condamné à lui verser une rente de 978 euros par mois pendant les 25 premières années de sa vie. Non pour avoir tenté de le tuer, mais pour l’avoir bel et bien raté. Peut-être aussi pour le dédommager de vivre alors qu’il n’était pas « désiré à la naissance » ?
Désiré, sa maman promet de lui expliquer qu’« il l’est aujourd’hui ». L’avocat du médecin a fait appel. Il estime pouvoir lui éviter la sanction pécuniaire grâce au refus de la maman d’avorter plus tardivement… L’affaire — dans le contexte de la légalisation de l’avortement — est logique. Elle a le mérite de relever l’absurdité du geste qui était demandé à un médecin. N’aurait-il pas abouti à supprimer une vie innocente et en bonne santé tout en privant une femme de la chance d’accueillir son enfant, et de l’aimer ? Comme souvent, c’est par l’injustice de leurs conséquences qu’on mesure la gravité des dérives éthiques. Comme à l’occasion de fiascos médicaux.
En Italie, c’est un « jumeau sain » qui avait été avorté par erreur en août 2007 à la place de son frère trisomique, déclenchant une vive polémique sur l’eugénisme. A Lyon en 1991 c’est l’inversion de deux patientes au moment de l’entrée au bloc qui a pu aboutir à un avortement par erreur. Qui osera avouer qu’en France, quand une tentative d’IMG (interruption médicale de grossesse) tardive se conclut par un bébé vivant, des soignants étouffent discrètement le nouveau-né handicapé ?
C’est la naissance d’enfants handicapés, faute d’avortement, qui alimente le contentieux. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est actuellement saisie du recours d’une Lettonne qui reproche à son médecin de ne pas avoir dépisté la trisomie 21 de sa fille, née en 2000. Un remake de la célèbre affaire Perruche : la même année 2000, la Cour de cassation française avait prétendu indemniser, à la demande de ses parents, le jeune Nicolas, porteur d’un lourd handicap, pour le « préjudice d’être né » plutôt que d’avoir été avorté. L’arrêt a ensuite été désavoué par la loi du 4 mars 2002, grâce à un collectif contre l’handiphobie.
Aujourd’hui, c’est un rassemblement international d’associations de familles et d’amis de personnes trisomiques qui agit auprès de la CEDH, par voie de pétition, « pour que l’eugénisme ne devienne pas un droit de l’homme ». L’appel, relayé en France par la Fondation Jérôme Lejeune, peut être signé sur un site Internet dédié.