Améliorer la vie des personnes handicapées
05/12/2011

Cette note a pour objectif de présenter les analyses et les propositions d’Alliance VITA dans certains domaines de la vie des personnes handicapées en France. Elle répond à une demande formulée par la mission sur le handicap, constituée  auprès de la secrétaire d’Etat chargée de la famille et de la solidarité en novembre 2010. Cette mission a travaillé sur la place des personnes handicapées dans la société et des propositions d’actions pour l’évolution des mentalités. Son président, Jean-François Chossy, a remis son rapport le 2 décembre 2011 au Premier ministre.

1. Déterminants sociaux qui influencent notre perception du handicap et notre comportement envers les personnes handicapées

a) La culture de la performance est devenue omniprésente dans notre société.

Les critères de la réussite subordonnant la vie à l’efficacité économique, au rendement mesuré à court terme, y compris dans le domaine social. Une vision de plus en plus utilitariste s’impose, conduisant à mesurer la valeur de chaque acte (« à quoi ça sert ? »), et parfois même des personnes (« à quoi sers-tu ? »). Dans ce contexte, les personnes handicapées sont souvent considérées comme un poids, même si des politiques visant à donner aux personnes handicapées leur place au travail et dans le système éducatif ont été déployées ces dernières années.

b)  La peur du handicap, de la dépendance, de la déficience est au cœur de chacun.

Quand il se révèle différent, surtout en cas de déficience mentale, l’autre inspire la méfiance. Il est difficile de communiquer avec lui dans un mode de relation qui est inhabituel et qui demande de se remettre en question.

c) Les débats bioéthiques laissent apparaître cette difficulté à accueillir les personnes handicapées. Le dépistage prénatal, qui s’est considérablement développé ces dernières années, a accru cette peur qui modifie l’approche de la naissance. Il conduit professionnels de la grossesse et parents à dépister les fœtus porteurs de handicap, avec comme conséquence de pouvoir légalement procéder à des interruptions médicales de grossesse. Aujourd’hui des experts alertent sur les risques d’une forme d’eugénisme « compassionnel », à la fois inconsciente et généralisée. Ces pratiques ont des conséquences sur la capacité de la société à accueillir la personne porteuse d’un handicap. Le retentissement est important aussi sur les personnes handicapées elles-mêmes. Celles qui sont membres de notre association, atteintes de spina bifida ou de myopathie notamment, nous disent combien cela remet en cause la légitimité de leur propre vie.

d) La tentation euthanasique, par la remise en cause médiatique de vies très dépendantes comme celle de Vincent Humbert, contribue à alimenter cette peur de la dépendance. L’image renvoyée est celle d’un sentiment d’exclusion de toute forme de fragilité par la société.

e) La fragilité économique des familles et des personnes handicapées accroit la pression qui pèse sur eux. Les familles s’angoissent sur le devenir de leurs proches handicapés. Elles ont besoin de sentir l’engagement de la société sur le long terme. Cette problématique rejoint aussi celle du vieillissement et des maladies qui lui sont rattachées comme celle d’Alzheimer.

2. Propositions d’actions pour améliorer la vie des personnes handicapées

a) Reconnaître notre ambivalence profonde : on n’a jamais autant fait pour accueillir les personnes handicapées ou dépendantes, et en même temps, la société exprime par ses lois et ses débats une grande difficulté à les accueillir pleinement. Reconnaître cette ambivalence et les situations d’injustice et de rejet qu’elle alimente serait un premier pas pour faire évoluer notre regard.

b) Favoriser une culture de la rencontre : toute mesure qui favorise le « vivre ensemble » va dans le bon sens. La rencontre personnelle est le plus sûr moyen de faire tomber les peurs, les réticences, les préjugés. De nombreuses mesures ont été décidées ces dernières années, que ce soit pour permettre le maintien en milieu scolaire, pour favoriser le recrutement en entreprise, pour développer des activités de loisir, pour rendre accessibles les lieux publics, etc. Il reste encore beaucoup à faire dans la mise en œuvre concrète de toutes ces décisions dans toutes les composantes de la société.

c) Développer des instituts spécialisés, à l’exemple de la Belgique, adaptés à la spécificité des enfants : les mesures d’intégration ne doivent pas cependant faire l’impasse sur le handicap et mettre les personnes handicapées en situation de difficulté, notamment à l’école. Des instituts spécialisés permettant de développer les capacités singulières à chaque enfant peuvent être d’un meilleur bénéfice, pour des enfants atteints de déficiences mentales notamment, sans les contraindre à un milieu scolaire qui ne leur convient pas.

d) Passer d’une culture de la performance à une culture de la vulnérabilité. C’est un travail de long terme, à renouveler périodiquement auprès de chaque nouvelle génération de jeunes. L’éducation à la différence s’apprend dès le plus jeune âge. Un programme spécifique pourrait être mis en œuvre auprès des principaux éducateurs concernés, c’est-à-dire les parents et les enseignants (émissions radio et TV grand public, rénovation des cours d’éducation civique et de SVT, etc).

e) Lutter contre les discriminations et tout particulièrement les nouvelles discriminations qui se révèlent aujourd’hui dès l’annonce du handicap au cours des grossesses, en sortant d’une présentation « technicienne » de la situation. Il est nécessaire de développer la formation du corps médical à la psychologie de l’annonce du handicap, ainsi que l’accompagnement des parents. La mise en relation avec des associations spécialisées et agréées dans l’accompagnement des patients atteints de l’affection suspectée et de leur famille devraient être encouragées (cf article 20 de loi de bioéthique du 7 juillet 2011).

f) Favoriser la recherche scientifique et médicale : à défaut de pouvoir complètement  éradiquer une maladie ou un handicap, il est possible d’atténuer les conséquences négatives de l’affection, que ce soit au niveau physique ou mental, et d’améliorer la vie quotidienne  des personnes en cause. Cette amélioration rejaillit sur l’image sociale de ces personnes et contribue à leur meilleure intégration.

g) Développer des structures d’accueil de personnes handicapées vieillissantes : cela doit faire partie d’un programme spécifique, avec un encouragement aux initiatives publiques ou privées en coordination avec les familles.

3. Les raisons de notre opposition au projet « aidants sexuels »

a) Les attentes et les besoins sexuels des personnes handicapées sont particulièrement difficiles à cerner, car celles-ci sont fragiles, vulnérables,  et donc manipulables. On a constaté dans le passé de nombreuses dérives, avec des atteintes à la pudeur, des abus et jusqu’à des viols de personnes handicapées par des éducateurs ou des personnes qui les côtoyaient. Il suffit d’évoquer la terrible affaire des disparues de l’Yonne : on se souvient d’Emile Louis, le chauffeur de car, mais il ne faut pas oublier que le Directeur de la DDASS de l’Yonne lui-même a été condamné à six ans de prison pour abus sexuel sur une jeune fille handicapée mentale, dont il disait vouloir lui permettre de « s’épanouir affectivement ».

b) L’exercice de la sexualité est une liberté, et non pas un droit qui serait opposable qui ferait l’objet d’un devoir correspondant de la société. La sexualité doit rester de l’ordre de l’intime, du gratuit, du don équilibré entre personnes qui se choisissent librement. Sinon on tombe dans la prostitution, qui serait dans ce cas cautionnée et encouragée par l’Etat ! La création de la fonction  de « prestataire sexuel » signifierait que les personnes handicapées seraient incapables d’avoir une vie affective, de séduire par elles-mêmes, de nouer une relation amoureuse, ce qui est injuste et discriminant pour la plupart d’entre elles.

c) Le coût économique supplémentaire, sans être un argument majeur, doit également être pris en compte. Est-ce vraiment le moment de créer des dépenses supplémentaires pour la Sécurité Sociale, qui croule par ailleurs sous les dettes ? Si l’on veut affecter de l’argent public au bénéfice des personnes handicapées, il y a d’autres urgences beaucoup plus vitales à assurer, en particulier dans le domaine de la santé et de l’éducation.

d) Les risques de manipulations et de dérives se révèleront très importants :

– La sexualité est souvent le lieu de l’ambivalence et de l’expression de déséquilibres. Avoir une conception angélique de la sexualité, c’est ignorer complètement les apports de la psychologie moderne et la réalité quotidienne des faits divers rapportés par les médias. Ni les personnes handicapées, ni les éventuels prestataires  ne seront exempts de ces ambivalences et de ces risques de dérives. L’exercice de la sexualité dissociée de toute forme d’amour ne peut que renforcer ces risques. Dans une pratique qui se voudra professionnelle, et donc une pratique mécanique de la sexualité sans sentiment, comment seront évaluées, par exemple, les motivations pour un adulte à exercer ce métier, et comment sera vérifié son dévouement « altruiste » ?

– Au sein des centres, la sexualisation intrusive des relations est susceptible de complètement dénaturer les relations de confiance.

– Des personnes handicapées vont forcément tomber amoureuses de leur assistant sexuel, car pour la personne bénéficiaire, le sentiment ne peut être évacué de ce type de relation. On va aboutir à des relations truquées, ambigües, suscitant des amours impossibles dont les personnes handicapées sortiront forcément très meurtries. Avec à la clé, des traumatismes profonds rendant plus difficile l’amitié vraie.

e) Si la vie sexuelle se révèle dans certains cas difficile, voire impossible, ce n’est pas pour autant une injustice à réparer. D’autres catégories de personnes sont dans des situations similaires (veufs et veuves, prisonniers de longue durée, malades en hôpitaux psychiatriques, etc). Il n’y a pas d’obligation pour l’Etat à assouvir les désirs intimes, et encore moins les pulsions sexuelles individuelles des citoyens, sauf à tomber dans le despotisme totalitaire de Big Brother… Même si l’omniprésence de la pornographie rend la sphère publique finalement très impudique, l’atteinte à la pudeur et la pornographie sont officiellement combattues en France.

f) Pour permettre un véritable épanouissement de la personne handicapée dans le domaine de l’amour humain (puisque finalement la sexualité est au service de l’amour, et non l’inverse), le rôle des pouvoirs publics est d’encourager d’autres formes de présence, de valorisation de l’autre, de soins attentifs, y compris corporels. La tendresse peut s’exprimer de multiples autres manières que les caresses sexuelles !

A nos yeux, l’idée des aidants sexuels est donc une mauvaise réponse à une bonne question, celle de l’épanouissement affectif des personnes blessées dans leur corps ou dans leur esprit. Pour atteindre cet objectif dans un véritable respect de leur dignité, cela dépend surtout de la qualité de notre regard et de notre proximité au quotidien. La chaleur humaine et la tendresse que nous voulons manifester aux personnes handicapées doivent prendre d’autres chemins que la création d’une fonction d’assistant sexuel très ambigüe et potentiellement porteuse de graves dérives.

Mars 2011 – mise à jour 5 décembre 2011