Contrairement à la Cour de cassation, dans deux décisions récentes, le tribunal d’Evry considère que l’intérêt supérieur de l’enfant ne permet pas d’ignorer sa naissance par contrat de GPA à l’étranger, et décide que le mari du père biologique ne peut adopter l’enfant ainsi conçu.
Dans les deux affaires, les enfants ont respectivement 18 mois et 3 ans. Ils sont nés d’une gestation pour autrui (GPA) réalisée aux États-Unis. Aucune filiation maternelle n’est inscrite, les actes de naissance des enfants indiquent uniquement le père biologique comme père. Le conjoint du père biologique demande l’adoption plénière.
Le tribunal de grande instance (TGI) d’Evry rejette les demandes d’adoption par deux décisions des 4 septembre et 2 octobre 2017. Il se fonde sur le droit français qui interdit la GPA, et sur le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes. Il se réfère aussi à l’article 3 de la Convention de New York sur les droits de l’enfant qui exige que l’intérêt supérieur de l’enfant soit pris en compte pour une décision le concernant. Or, il est clair que la GPA écarte délibérément la mère : les enfants ont été volontairement privés de mère pour les rendre adoptables, ce qui est incompatible avec le droit de l’enfant, notamment celui de connaître ses parents et d’être élevé par eux dans la mesure du possible (art. 7 Convention de New York).
Le TGI d’Evry tient compte de la situation d’origine qui est illicite. Il regarde comment l’enfant a été obtenu et pourquoi il n’a pas de filiation maternelle, c’est-à-dire qu’il tient compte de la GPA. Il suit en cela la récente jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), dont la Grande chambre (instance suprême de décision) s’est prononcée pour la première fois en matière de GPA par un arrêt du 24 janvier 2017. Au contraire du précédent arrêt de chambre[1] de janvier 2015 qu’elle désavoue, la Grande chambre a jugé qu’un État n’est pas tenu de reconnaître des personnes ayant obtenu un enfant par GPA comme parents (CEDH, n°25358/12, Paradiso et Campanelli c. Italie).
En revanche la Cour de cassation, depuis un revirement de jurisprudence en 2015, ne prend en compte que la situation actuelle de l’enfant. Elle ignore la GPA. Seul compte ce qui est conforme à la réalité. Ainsi depuis les arrêts du 3 juillet 2015, lorsque l’acte de naissance indique comme père celui qui se présente comme le géniteur (le père biologique), la mention de la paternité peut être transcrite, et la paternité sera reconnue en France. Pour la mère, les arrêts du 5 juillet 2017 précisent que la réalité de la maternité est l’accouchement : la mère est la femme qui accouche. Si la mère d’intention est désignée comme mère, ce n’est pas la réalité biologique, et la mention de la maternité ne sera pas transcrite sur les registres de l’état civil français. La transcription sera partielle, uniquement envers le père. La Cour de cassation l’a encore réaffirmé dans un arrêt du 29 novembre 2017. Elle accepte cependant, depuis un autre arrêt du 5 juillet 2017, l’adoption simple par le conjoint « si les conditions légales de l’adoption sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant ».
Le TGI d’Evry, en fondant son raisonnement davantage sur la CEDH que sur la Cour de cassation, ne néglige pas pour autant de vérifier que l’intérêt supérieur de l’enfant est pris en compte. Il considère, dès lors qu’« il existe de nombreux moyens juridiques pour donner un statut [au conjoint du père] vis-à-vis de l’enfant (délégation d’autorité parentale, tuteur testamentaire, enfant légataire successoral, droit de visite d’un tiers en cas de séparation du couple) », l’absence de lien juridique de filiation entre le demandeur et l’enfant « n’est aucunement préjudiciable à l’enfant ».