La législation sur le don d’organes post-mortem, qui avait fait l’objet d’un amendement très controversé au cours de la discussion parlementaire du projet de loi Santé, n’est finalement pas modifiée dans la version que le Sénat vient d’adopter, au cours d’un vote solennel sur l’ensemble du texte ce 6 octobre (1).
Selon le texte actuel, le don d’organes repose sur le principe du « consentement présumé » de la personne décédée, sauf si elle avait auparavant refusé explicitement. Dans la pratique, il suffit qu’un des membres de la famille s’y oppose pour que les médecins ne fassent pas de prélèvement.
Lors de l’examen du projet de loi à l’Assemblée nationale, le professeur Jean-Louis Touraine avait fait adopter en Commission des affaires sociales, le 19 mars dernier, un amendement qui avait considérablement durci le dispositif : il ne laissait que le registre national comme mode exclusif d’expression du refus. Il visait également à exclure les proches de la consultation préalable, leur consentement n’étant plus nécessaire (article 46 ter).
Compte tenu des nombreuses critiques qui s’étaient exprimées à la suite de ce vote, aux députés, le gouvernement a présenté un autre amendement lors de la discussion en séance publique le 14 avril 2015. Cet amendement atténuait un peu le dispositif, l’inscription sur le registre national n’étant plus le mode exclusif pour exprimer son refus d’un prélèvement. Mais il maintenait l’idée que les proches ne seraient plus qu’informés de la décision des médecins.
Le mercredi 22 juillet 2015, la commission des affaires sociales du Sénat avait supprimé cette disposition, malgré l’opposition de la ministre Marisol Touraine. Les rapporteurs avaient justifié leur position en rappelant que « le caractère sensible des sujets de bioéthique justifie que les évolutions législatives en la matière fassent l’objet de larges consultations préalables dans un climat serein. C’est pourquoi la loi de bioéthique prévoit un réexamen périodique qui doit avoir lieu avant 2018 à la suite de la convocation des états-généraux de la bioéthique ».
Or, en séance publique au Sénat le 29 septembre, le Gouvernement a essayé de réintroduire à nouveau cet amendement (n°1258), qui fit donc l’objet d’une discussion approfondie. Dans sa formulation, cet amendement dispose que « le médecin informe les proches du défunt, préalablement au prélèvement envisagé, de sa nature et de sa finalité, conformément aux bonnes pratiques arrêtées par le ministre chargé de la santé sur proposition de l’Agence de la biomédecine. Ce prélèvement peut être pratiqué sur une personne majeure dès lors qu’elle n’a pas fait connaître, de son vivant, son refus d’un tel prélèvement, principalement par l’inscription sur un registre national automatisé prévu à cet effet. Ce refus est révocable à tout moment. »
Des enjeux éthiques y apparaissent clairement.
Pour le député Jean-Baptiste Lemoyne, « l’amendement prévoit simplement que le médecin informe les proches du défunt. Il y a là un glissement sémantique qui n’est tout de même pas neutre »; et pour René Danesi, cet amendement « ressemble tout de même à une « nationalisation » des corps des défunts. Certes, c’est la solution la plus rapide, la plus facile à mettre en œuvre et la plus efficace, mais elle me paraît moralement indéfendable, car le choix de donner ou pas ses organes doit être personnel, libre et, surtout, éclairé. »
Sur la question du consentement présumé du don d’organes, le député Dominique de Legge a soulevé cette question : « Un consentement au don peut-il être présumé ? Pour moi, un acte de cette nature relève par définition d’une décision volontaire, clairement exprimée et positive. Un don qui serait subi ne me semble plus être un don. »
Pour Tugdual Derville, délégué général d’Alliance VITA, « la suppression de l’amendement de M. Touraine va dans le bon sens. Les règles qui entourent le don d’organes ne peuvent être modifiées que dans le cadre des révisions de loi de bioéthique qui prévoit au préalable la consultation de la population et des professionnels. C’est parce que le don d’organes reste un acte libre et généreux, qui sauve de nombreuses vies – à ce titre, il doit être encouragé – qu’’il est particulièrement dangereux de le présenter comme un processus quasi automatique ».
(1) Une commission mixte paritaire se réunira dans les prochaines semaines pour chercher à harmoniser les positions entre députés et sénateurs sur tous les sujets controversés de cette loi Santé, avant un dernier examen prévu dans chaque Chambre avant la fin de l’année civile.