Le jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Carter c. Canada le 6 février 2015 invite le Parlement à modifier le Code criminel pour que « l’aide médicale à mourir » ne soit plus considérée comme un homicide.
En effet le Code criminel canadien dispose dans son article 241 b) qu’est coupable d’un acte criminel quiconque « aide ou encourage quelqu’un à se donner la mort, que le suicide s’ensuive ou non. »
L’affaire jugée était portée par des résidents de Colombie Britannique : Gloria Taylor, atteinte de sclérose amyotrophique latérale décédée depuis le début de la procédure, et les descendants de Kay Carter, qui a eu recours au suicide assisté en Suisse. Les requérants étaient également le Dr William Shoichet, partisan du suicide assisté, et la British Columbia Civil Liberties Association.
Les deux femmes réclamaient une « aide active à mourir ».
Portant l’affaire en 2009 devant le tribunal compétent de Colombie Britannique, les requérants ont fait valoir que l’interdiction de l’aide au suicide contenue à l’article 241 b) du Code criminel contrevenait à la Charte des droits et libertés du Canada.
Ils ont eu gain de cause en première instance, mais la Cour d’appel de Colombie-Britannique a infirmé le premier jugement en appel. L’affaire a été ensuite portée devant la Cour suprême.
La Cour suprême est le plus haut tribunal du Canada. Composée de neuf juges, les décisions se prennent à la majorité des voix. Elle décide elle-même des causes qu’elle examine.
A l’unanimité, les juges ont déclaré disproportionné de maintenir la prohibition de l’aide active à mourir « à l’égard d’une personne adulte capable qui consent clairement à mettre fin à sa vie, et qui est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition ».
Suspendant sa décision pour un an, la Cour enjoint le Parlement canadien à modifier le Code pénal. Le gouvernement peut cependant encore faire campagne contre. D’autre part, si la question pénale est du ressort exclusif du gouvernement canadien, la Cour reconnait aux provinces, en s’appuyant sur leur compétence en matière de santé, de pouvoir « légiférer sur des aspects de l’aide médicale à mourir ». Le Québec a voté une loi en ce sens au printemps dont la mise en application est prévue pour décembre 2015, sous réserve du jugement des recours conduits par plusieurs associations.
Au terme d’une affaire similaire (Rodriguez) en 1993, la Cour suprême avait tranché contre la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, s’appuyant sur la défense des personnes les plus vulnérables. La Cour a repris cet élément en le renversant d’une manière insidieuse, arguant que « la prohibition (…) a pour effet de forcer certaines personnes à s’enlever prématurément la vie, par crainte d’être incapables de le faire lorsque leurs souffrances deviendraient insupportables« . Et donc de contredire dans ces situations la visée de la prohibition, d’ »empêcher que les personnes vulnérables soient incitées à se suicider dans un moment de faiblesse« . Elle s’est également appuyée sur le fait que des pays avaient légiféré depuis le jugement Rodriguez de 1993. Ils sont pourtant peu nombreux à avoir légalisé l’euthanasie ou le suicide assisté (les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, la Suisse ainsi que quelques états américains). La Cour n’a pas estimé devoir prendre en compte les dérapages et extensions observés en Belgique notamment, dans la mesure où le Parlement de la Belgique n’a rien fait pour restreindre la loi et donc que les cas exposés n’étaient pas assez probants pour être pris en compte.
Dans un communiqué commun, le réseau citoyen Vivre dans la Dignité et le Collectif des médecins contre l’euthanasie ont souligné que les personnes vulnérables étaient les plus menacées par un tel jugement : « en demandant au Parlement du Canada de modifier le Code criminel pour statuer que « l’aide médicale à mourir » n’est pas un homicide et ne doit donc plus être sanctionnée, le plus haut tribunal du pays bouleverse en profondeur la société canadienne. »