La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rendu le 26 juin 2014 deux arrêts condamnant la France pour son refus de transcrire dans l’état civil français les actes de naissance d’enfants nés aux Etats-Unis d’un gestation par autrui (GPA), au motif que cette disposition porte atteinte à l’identité des enfants.
Ces décisions n’obligent pas la France à légaliser la GPA, mais lui demandent de reconnaître les conséquences de cet acte réalisé à l’étranger sur le plan de la filiation et de l’état civil en France.
Les requérants, les couples Mennesson et Labassee, avaient déposé ce recours après que la Cour de cassation leur ait opposé une fin de non-recevoir le 6 avril 2011. La Cour de cassation avait en effet jugé contraire à l’ordre public la décision étrangère de reconnaissance de la GPA, car comportant « des dispositions heurtant des principes essentiels du droit français ».
La CEDH a examiné si le refus de transcrire les actes de naissance des enfants dans l’état civil français violait l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (qui énonce le droit au respect de la vie privée et familiale). Elle a conclu qu’il n’y avait pas violation du droit des parents requérants, mais violation du droit des enfants au respect de leur vie privée.
Les enfants sont nés aux Etats-Unis par mères porteuses avec don d’ovocytes : ils ont des actes de naissance américains qui reconnaissent les époux Mennesson et Labassee comme leurs parents, au terme d’une transaction de mère porteuse. La Cour relève que « le refus de la France de reconnaître le lien de filiation entre les enfants nés d’une GPA à l’étranger et les couples ayant eu recours à cette méthode procède de la volonté de décourager ses ressortissants de recourir hors de France à une méthode de procréation qu’elle prohibe sur son territoire dans le but, selon sa perception de la problématique, de préserver les enfants et la mère porteuse ».
La CEDH constate que « les requérants ne prétendent pas que les obstacles auxquels ils se sont trouvés confrontés étaient insurmontables » et qu’ils ont bénéficié de leur droit au respect de leur vie familiale. Elle a cependant considéré que par ce refus se posait une « grave question de compatibilité de cette situation » avec l’intérêt supérieur des enfants. Même s’ils ont été identifiés ailleurs comme étant les enfants des couples, ils « se trouvent dans un état d’incertitude juridique ». La CEDH a invoqué l’importance de la reconnaissance du lien biologique pour « établir la substance de son identité » et mis en cause la « troublante incertitude » quant à se voir acquérir la nationalité de leur père biologique français, « indétermination susceptible d’affecter négativement la définition de leur propre identité ». De même le fait de ne pouvoir hériter des époux Mennesson et Labassee, sauf en tant que légataires ce qui est moins favorable en termes de droits successoraux, constitue « un autre élément de l’identité filiale » dont sont privés ces enfants .
La secrétaire d’Etat à la famille a déclaré que l’Etat français n’a pas l’intention de faire appel de cette décision alors qu’il en a la possibilité. Ces arrêts interviennent alors qu’un recours a été déposé par un groupe de juristes auprès du Conseil d’Etat contre la circulaire Taubira du 25 janvier 2013. Cette circulaire invite les procureurs et greffiers en chef à délivrer un certificat de nationalité française aux enfants, dès lors que le lien de filiation avec un français résulte d’un acte d’état civil étranger probant, et précise que le seul soupçon de recours à une convention de GPA à l’étranger ne peut suffire à opposer un refus de délivrance.
Pour Alliance VITA, cette décision risque de remettre en cause le droit français qui prohibe la GPA, et fragilise la nécessaire dissuasion d’un tourisme procréatif qui transgresse gravement le droit des femmes et des enfants. Elle est d’autant plus paradoxale et contradictoire qu’est invoquée la nécessité de préserver le lien biologique, paternel en l’occurrence, alors que le processus de procréation fait voler en éclat le lien biologique maternel. Le gouvernement en ne faisant pas appel de cette décision ruine la portée pratique de l’interdiction de la GPA.
La programmation d’un enfant qui sera séparé – par contrat – de celle qui l’aura porté et enfanté ne respecte pas le droit de l’enfant. Une maternité éclatée entre deux voire trois femmes (génitrice, gestatrice et éducatrice) est une injustice pour lui. C’est également une injustice pour les femmes porteuses dont le travail s’apparente à de l’esclavage, incompatible avec leur dignité. Ceux qui ont eu recours à cette technique à l’étranger ont une grave responsabilité : sans nier pour autant l’intérêt des enfants concernés à avoir un état civil clair, effacer leur histoire chahutée ne les respecte pas et constituera un mensonge cautionné par l’Etat.
Pas plus que pour la peine de mort ou d’autres pratiques contraires aux Droits de l’Homme, la France n’a pas à se caler sur des législations transgressives et sur le « moins-disant » éthique.
La gestation pour autrui ou mère porteuse est interdite en France et réprimée par le code pénal.L’article 227-13 du code pénal punit de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende «la substitution volontaire, la simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’un enfant », ainsi que leur tentative. L’article 227-12 du code pénal réprime la provocation à l’abandon, l’entremise en vue d’adoption et, depuis la loi bioéthique n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, « le fait de s’entremettre entre une personne ou un couple désireux d’accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre ». De plus selon l’article 444-4 du code pénal « Le faux commis dans une écriture publique ou authentique ou dans un enregistrement ordonné par l’autorité publique est puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende ». |
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