Des mesures relatives à l’interruption volontaire de grossesse ont été introduites dans le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes : les principales visent d’une part à supprimer de la loi la notion de “situation de détresse” d’une femme pour recourir à l’avortement, et d’autre part à pénaliser les entraves à l’information sur l’IVG dans les locaux habilités à cet effet.
Outre le changement symbolique que revêt la suppression du mot « détresse » de la loi concernant le recours à l’avortement, cette mesure remet profondément en cause la philosophie de la loi de 1975.
Introduites par amendement en commission des lois de l’Assemblée nationale le 18 décembre dernier, ces mesures n’ont fait l’objet d’aucun examen par le Conseil d’Etat, ni d’aucune étude d’impact par le Gouvernement, alors qu’elles touchent intimement les femmes et les couples dans un contexte de crise économique et sociale profonde. Ce n’est donc ni le support législatif ad hoc, ni le moment pour engager une nouvelle réforme de l’avortement dans notre pays.
Cette réforme précipitée repose sur un déni de la réalité, alors que s’exprime de plus en plus clairement le besoin des femmes d’accéder à une information impartiale et complète avant de prendre en conscience une décision grave.
1- La suppression de la « situation de détresse »
Comment peut-on croire qu’il suffise de supprimer un mot dans un texte de loi pour faire disparaître la réalité qu’il recouvre ?
La situation actuelle
– En 2011, 222.500 interruptions volontaires de grossesse (IVG) ont été recensées en France. L’augmentation de l’IVG des mineures qui a cru de 25% entre 2002 et 2006 représente aujourd’hui 6% des IVG. Notre pays se situe, par son taux d’IVG de 15,1 IVG pour 1000 femmes en âge de procréer, dans une moyenne élevée en Europe. Le taux le plus élevé est observé chez les femmes âgées de 20 à 24 ans, chez lesquelles il est de 27 en France métropolitaine, et de 50 dans les départements d’outre-mer (DOM). Selon l’Institut National d’Etudes Démographiques, on estime que près de 40 % des femmes y auront recours dans leur vie.
– Nous constatons un rajeunissement de l’âge des femmes à l’IVG, qu’il s’agisse de la première IVG ou d’une nouvelle IVG. Plus précisément, “depuis la fin des années 1980, l’âge moyen au moment de la première IVG a diminué d’un an et demi” et “les femmes dont c’est la deuxième IVG sont en 2007 âgées en moyenne de 28,8 ans”, et de 30,3 ans pour celles qui ont déjà eu plus de deux IVG. Les IVG des mineures, qui ont connu une forte augmentation entre 2002 et 2006 (+ 25%), restent à un niveau élevé malgré les nombreuses mesures prises pour leur assurer la gratuité de la contraception.
– Pourtant, le taux d’utilisation des contraceptifs en France est parmi les plus élevés au monde. Selon le baromètre santé 2010, 90,2 % des Françaises sexuellement actives âgées de 15 à 49 ans déclarent employer une méthode contraceptive, y compris chez les jeunes (91,2 % chez les 15-19 ans, et 92,9 % chez les 20-24 ans).
– Ce « paradoxe contraceptif français » est confirmé par le rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales de février 2010. Il révèle que 72% des femmes qui recourent à l’IVG utilisaient une méthode de contraception quand elles ont découvert leur grossesse[1], en concluant qu’ « une maîtrise totale de la fécondité est illusoire ».
Cependant, alors que les pouvoirs publics reconnaissent qu’il y a un nombre élevé d’avortements, les solutions qu’ils proposent se bornent à renforcer la contraception ou à augmenter encore les prescripteurs de l’IVG. C’est du moins le sens des orientations prises ces dernières années.
Pourtant l’IVG n’est pas un acte anodin pour les femmes
– Pour la Haute Autorité de la Santé, citée dans le rapport de l’IGAS sur la prévention des grossesses non désirées (2010) : «L’IVG demeure un évènement souvent difficile à vivre sur le plan psychologique. Cette dimension manque d’éclairage objectif et scientifique ». Aucune évaluation n’a été conduite depuis ce constat par les pouvoirs publics.
– Selon un sondage OpinionWay pour Nordic Pharma en mars 2013, 85% des femmes déclarent avoir ressenti une souffrance au moment de l’IVG médicamenteuse, y compris une souffrance morale pour 82% d’entre elles, ou physique pour 67%. Il confirme un précèdent sondage effectué par l’IFOP en 2010 sur les femmes et l’IVG : 83% des femmes pensent que l’IVG laisse des traces psychologiques difficiles à vivre.
– Pourtant selon le rapport de synthèse de l’IGAS sur l’évaluation des politiques de prévention des grossesses non désirées et de prise en charge des interruptions volontaires semble prôner la fatalité : « Il y aura toujours des situations d’incertitude ou de rupture affective qui remettent en cause une grossesse éventuellement souhaitée à un moment donné ».
– Les femmes ont plus que jamais besoin d’être écoutées et accompagnées, et non pas que la collectivité se dédouane en niant la difficulté d’un acte que les hommes, eux, n’ont pas à subir.
La véritable égalité devrait donc intégrer une politique de prévention des pressions masculines qui s’exercent sur les femmes pour l’IVG, comme il est développé une politique volontariste à l’égard des violences faites aux femmes (cf articles 7 et suivants du projet de loi).
2- L’information des femmes
– L’entrave concernait jusqu’à maintenant le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher une IVG. A l’avenir, les sanctions concernant les entraves au fait de « pratiquer une IVG » seraient étendues au fait de « s’informer sur une IVG » dans les établissements habilités à donner cette information.
– Cela traduit la vision partiale et technicienne, des promoteurs de cette réforme de l’IVG, au détriment d’une approche humaniste qui est, pourtant, réellement attendue des femmes.
Les femmes ont, plus que jamais, besoin d’une information impartiale et complète. Orl’information s’est dégradée depuis une dizaine d’années.
– Ceux qui prônent l’absolu de la liberté individuelle, faisant de l’IVG un droit sans limites, dénient en même temps aux femmes le pouvoir – et le droit – d’exercer cette liberté en étant pleinement éclairées. Pour prendre une décision entre deux solutions, il faut pouvoir accéder aux informations concernant chacune des deux hypothèses possibles. Il s’agit de comparer, de peser le pour et le contre, de réfléchir sereinement, afin de décider.
– Or, la tendance de la législation va à l’encontre de ce mouvement, puisque la loi du 4 juillet 2001 a supprimé du dossier-guide remis aux personnes qui viennent s’informer pour une éventuelle IVG, la présentation des aides et protections assurées aux femmes enceintes. De même, aucune information concernant ces droits et aides ne figure sur le site du Ministère de la santé, dans l’espace consacré à l’IVG.
Il est donc urgent de réintroduire dans la loi cette mesure garantissant une information équilibrée sur les droits, aides et démarches pour les femmes enceintes, seules ou en couple, ainsi que le descriptif de leur protection sociale. Cela pourrait contribuer à résoudre un grand nombre de drames personnels, en présentant aux femmes des perspectives autres que l’avortement, qui ne devrait pas être une fatalité.
Conclusion
La suppression de la notion de détresse dans la loi ne protège pas les femmes :
– elle dédouane la collectivité d’apporter une réelle aide aux femmes pour prévenir l’IVG
– elle déresponsabilise les hommes.
Alors que ce projet de loi traite de l’égalité entre les femmes et les hommes, où est la vraie égalité ?
Notre pays a besoin d’avoir un large débat sur la politique qui est menée en matière d’IVG. Mais un débat serein, approfondi, et non biaisé. Car il s’agit de la dignité et de la souffrance des femmes et cela mérite mieux – beaucoup mieux – que deux amendements adoptés rapidement en cours de discussion parlementaire.
Janvier 2014