La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France, ce jeudi 21 juillet, pour avoir refusé la transcription à l’état civil des actes de naissance d’enfants nés à l’étranger par gestation pour autrui (GPA).
Cette décision concerne les dossiers Foulon et Bouvet, où des hommes ont eu recours à des mères porteuses en Inde.
Dans ces deux cas assez similaires, la Cour de cassation avait validé en 2013 le refus de la Cour d’appel de Rennes de reconnaître les actes de naissance établis en Inde. La Cour de cassation avait estimé que la naissance étant l’aboutissement d’une fraude à la loi, la GPA étant interdite en France, le refus de transcrire l’état civil étranger était justifié.
Didier Foulon et Philippe Bouvet avaient alors introduit une requête devant la CEDH en janvier 2014.
La Cour a estimé ce jour que le refus de transcription constitue une violation du droit au respect de la vie privée des enfants, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. En outre, elle condamne l’Etat à verser 5 000 euros à chacun des enfants concernés pour « dommage moral », et 15 000 euros à chaque famille au titre des frais de procédure. Les magistrats européens n’ont en revanche pas retenu de violation du droit des requérants au respect de leur vie familiale.
En novembre 2015, pour « solder ce contentieux » dans lequel la France est poursuivie devant la CEDH, le gouvernement français, par l’intermédiaire du ministre des affaires étrangères, avait proposé des indemnisations de plus de 30 000 euros à ces deux commanditaires de GPA. Ils avaient refusé.
Affaire Foulon : une petite fille est née en 2009 dans une clinique spécialisée en GPA, à Mumbaï. Son acte de naissance indique qu’elle a pour mère une indienne sans profession née en 1980, et pour père Didier Foulon. Un mois après la naissance, par un document écrit, Didier Foulon a déclaré avoir remis à la mère porteuse la somme de 100.000 roupies (environ 1300€) correspondant à trois ans de salaire d’une ouvrière. Ainsi que 60.000 roupies à la clinique.
Le père commanditaire a ensuite cherché à faire transcrire à l’état civil français l’acte de naissance établi en Inde. Le procureur de la République de Nantes s’y était opposé, au motif du soupçon de recours à la gestation pour autrui, interdite en vertu de l’article 16-7 du Code civil, et selon lequel «toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle.» L’homme a ensuite saisi le Tribunal de grande instance de Nantes, qui accéda à sa demande. Mais le parquet fit appel, et la Cour d’appel de Rennes avait annulé cette décision, précisant qu’ « il ne s’agit pas seulement en l’espèce d’un contrat de mère porteuse prohibé par la loi française, mais encore d’un achat d’enfant, évidemment contraire à l’ordre public ». Puis, la Cour de cassation le débouta également.
Affaire Bouvet : deux jumeaux nés en 2010 dans la même clinique à Mumbaï. L’acte de naissance indique qu’ils sont nés d’une jeune indienne sans profession née en 1982, et de Philippe Bouvet, un français, âgé alors de 45 ans, pacsé avec un homme ayant déjà employé la filière indienne pour obtenir des jumeaux. Philippe Bouvet a d’abord entamé des démarches auprès du consulat français en Inde pour que ses fils soient inscrits à l’état civil français. Puis il rencontra l’opposition du procureur de la République de Nantes, mais le Tribunal de grande instance de cette même ville accéda à sa demande, avant un appel du parquet et une confirmation de la décision en appel, puis une fin de non-recevoir de la Cour de cassation en septembre 2013.
« Les enfants ne peuvent être donnés ou cédés. Par cette décision, la Cour européenne des droits de l’homme contribue à importer en France le marché ultralibéral de la procréation et rend notre pays impuissant à s’y opposer. De plus, cela va à l’encontre des efforts de l’Etat indien d’enrayer cette pratique qui exploite des femmes pauvres au profit de personnes des pays riches. »
« Nous sommes en présence de l’exemple typique des Droits de l’homme se mordant la queue. En poussant jusqu’à l’absurde leur conception du « respect de la vie privée », les magistrats européens font injonction à la France d’indemniser des personnes qui, non seulement ont sciemment fraudé nos lois à l’étranger, mais encore ont fait subir aux enfants et aux femmes concernés une maltraitance originelle. Tant qu’il n’y aura pas une pénalisation concrète de l’achat d’êtres humains hors de nos frontières, ces trafics seront cautionnés si ce n’est encouragés. Il faudra donc qu’une future majorité ait le courage de remettre en cause, non pas l’affection qu’éprouvent les commanditaires pour les enfants qu’ils ont cru devoir faire fabriquer puis importer, mais les inacceptables abus intrinsèques à la pratique de la GPA ».